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Un texte en retard mais beaucoup d'exotisme. Un texte en retard mais beaucoup d’exotisme.

dimanche 26 novembre 2017 par Elisabeth

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Depuis longtemps elle pensait : "j’aimerais écrire comme une chanson", les chansons ont des paroles, une musique, un rythme. "J’aimerais que cette chanson continue sans fin", qu’elle se déroule comme une bobine de fil, que le fil ne se coupe jamais, qu’il continue à se déployer à chaque coup de patte d’un chat qui s’amuserait à voir la bobine rouler et rebondir.

Dans le silence du soir, quand l’immeuble se tait, quand la famille, les amis ont dit bonsoir, elle attend son heure. Bientôt les mots en silence remplissent l’espace, ils se bousculent, se choquent, crépitent comme le feu, ils s’agitent comme des malheureux car ce sont les premiers qui comptent, qui joueront le beau rôle.
Sous les doigts alertes, la page blanche se gorge de mots. Ils entrent par une porte invisible, virevoltent, colorés comme des enfants, ils dansent légers et bondissants, ils ont la vie en eux, ils s’appliquent à ne pas rester en place, font une chorégraphie joyeuse, se placent et se déplacent, en ordre ou en désordre, à la queue leu leu, retour à la ligne, espace, virgule, premier alinéas, et les suivants, un, deux trois, un paragraphe, sauter une ligne, enjamber, retourner d’où on vient, se placer, se remplacer, se déplacer, recommencer, et puis soudain ils tombent, tombent de sommeil, les uns sur les autre ils font un gros tas, las, ils ne se relèvent plus, restent figés.
Sur la page lisse ils font une tache grise, informe et molle et ils s’endorment. Les mots, les petits comme les gros, les lourds comme les faibles, les propres comme les sales, les scandaleux, les doux, les verts, les cinglants et les cinglés, les beaux et les vulgaires, tous, couchés serrés.

Le matin ou en pleine nuit, pour cause d’insomnie, elle retrouve les mots sur la page abandonnée. Ses mains reprennent l’affaire, démêlent l’écheveau, lettres et signes enchevêtrés. Elle dénoue et rassemble, aligne et redresse, cherche et retrouve le sens. Il ne faut pas mollir quand jaillissent les images, quand des mots encore et encore se pressent, mais sait-elle où ils l’emmèneront plus loin ? Une impasse ? Un labyrinthe ? Où est le fil ?
Il fait encore sombre, dans la chambre, le ciel n’a pas éteint les dernières étoiles, elle tend l’oreille, quelques bruissements lointains se font entendre, des voitures matinales transportent des passagers invisibles dans des destinations inconnues d’elle, mais où vont-ils si pressés, si tôt le matin ? Que font ces gens qui, comme elle, ne dorment plus ? Elle n’a ni envie de sortir, ni d’affronter le froid, ni de se lever. Dans son lit, trois coussins dans le dos, un édredon pardessus la couette, une lumière douce si proche qu’elle lui tient un peu plus chaud encore et l’accompagne dans ses pérégrinations nocturnes. Elle somnole, est-t-elle vraiment lucide ?

Soudain, sur l’écran lumineux, un petit symbole accrocheur montre sa tête rectangulaire barré d’un mince filet rouge puis, en surimpression au milieu de la page, la menace : "batterie faible".

Il va falloir se réveiller vraiment, se lever, chercher le cordon magique dans le fouillis des cordons inutiles et, si la malheureuse mémoire s’éteint faute de jus, jus d’orange, jus de chaussette, bref de stimulations rapides et efficaces, retrouvera-t-elle l’inspiration avant la coupure définitive ?
Il faudra attendre que la page grisonnante, se rallume et reprenne de l’exercice.

Maintenant elle est vraiment réveillée, quelle heure est-il ? L’absence de la voix du muezzin hurlant dans son haut parleur grésillant et la réveillant tous les matins depuis trois semaines, ne lui donnant plus d’indice satisfaisant, elle se satisfait du silence actuel et voit bientôt de grands paysages désertiques s’imprimer sous ses yeux ensommeillés. Elle réfléchit profondément avant de se rendormir laissant la page à demi remplie se recharger de bonnes énergies salvatrices.
Dans son rêve des contrées arides et rouges, roche, terre et sable confondus, continuent à défiler depuis le perchoir d’un mini-bus blanc, pas si mini que cela, seize places assises tout de même, le chauffeur compris. Elle se balance au rythme du véhicule et des kilomètres absorbés, Meknès, Rabat, Casablanca, El Jadida la portugaise, arrêt bienvenu, Safi, Essaouira, Marrakech la rouge, son golf, ses jardins, la villa Majorelle, direction le désert Ouarzazate la cinéphile, un film en continu, c’est long, très long depuis l’océan. Il faut monter, passer une vallée, un col, une deuxième vallée aussi creuse et aride que la précédente, deuxième col, le Tichka 2260m, arrêt enfin, pour un point de vue déprimé de creux et de bosses toutes aussi sèches que rouges, imaginer l’eau, des quantités d’eau qui ont dû couler pour creuser tous ces ravins de cailloux chamboulés. Ici la route en lacets impeccables, bordés de lignes blanches, subitement, un chantier en grande activité, poussière et secousses en cascades, plus loin un chantier gigantesque, à l’arrêt complet. Engins jaunes, oranges tous sagement alignés sur une plateforme, attendent en silence. Le décès du chef de l’entreprise en serait-il la cause ? La route ne s’arrête pas de zigzaguer pour autant, elle va son chemin tout comme les passagers effarés et, avec elle, grâce à elle, ils arrivent au bout de ce monde de roche, là où commencent le désert, le vrai, les dunes, les dromadaires, le sable.
Ici commence la longue marche à pied vers un horizon de montagnes qui s’éloignent toujours.

Quand le soleil dans la chambre sera revenu, elle aura fini d’écrire et, immanquablement, elle pensera "avec ou sans grain de sable tout aurait pu être (écrit) autrement ".
Regardant les montagnes au loin, elle boira son thé à la menthe en pensant aux mots qui s’arrêteront là.
Marylène


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