De la peinture Histoire d'une rencontre. De la peinture Histoire d’une rencontre.

dimanche 8 février 2015 par Sébastien Blanc

De la peinture
Histoire d’une rencontre.

Que peut-on dire sur ou de la peinture ? De manière d’abord générale, et puis de manière singulière, sur la peinture de Jean-Paul Pichon-Martin ? La peinture, sa peinture a-t-elle besoin qu’on parle encore, qu’on en rajoute une couche ? Y a-t-il en elle une forme de défaillance ou de défaut qui exige qu’on la dise, qu’on la porte à l’expression d’un sens explicite ? Y a t-il quelque chose que le dessin ou la couleur ne disent pas, un vouloir-dire de la peinture ? Quelque chose qui réclamerait donc des mots pour être enfin rédimé ou achevé ? Quel que soit le niveau de cette parole, de ce discours sur la peinture − la parole très lointaine de l’interprétation, la parole de l’historien, du philosophe, du critique, de l’amateur d’art, peu importe − elle ne peut se légitimer qu’en supposant quelque chose de très curieux, qui ne va pas du tout de soi, et dont il faudrait s’étonner.

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paysage provençal

Je voudrais commencer par mettre au jour ces présupposés non forcément pour les rejeter mais pour qu’ils parviennent dans une certaine lumière, qu’ils sortent un peu de l’ombre du non-dit.

- Premier présupposé : il y aurait une forme de déficience du tableau seul, une forme d’incomplétude – si ce n’est ontologique du moins de sens – quelque chose que les mots devraient porter à l’explicite. Certes, il y a sans doute bien des degrés entre cet implicite et cette déficience de la peinture. Du moins, est-ce sur ce manque que parie la nouvelle muséographie. Aujourd’hui chacun aura pu noter l’inflation du commentaire, du paratexte qui entoure, prépare introduit à la peinture même. Comme s’il fallait de plus en plus de précautions pour nous conduire au lieu même de la peinture. Curieux paradoxe : la prolifération des images ne nous aide pas à comprendre cette image singulière qu’est la peinture. Au contraire, c’est comme si son évidence reculait, comme si nous avions besoin du secours du texte, de la parole (savante, interprétative) pour nous confronter au silence effroyable de la peinture.

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Alechinsky

– Deuxième présupposé, plus profond encore, plus caché ou plus secret comme on voudra : sous cette incomplétude, sous cette déficience, il y aurait, cad on admettrait, un « vouloir-dire » de la peinture. Ce présupposé me semble ressortir de ce qu’on pourrait appeler la « tyrannie » du message. Une façon toujours étonnante qui nous fait considérer les œuvres – et pas seulement la peinture d’ailleurs – comme si elles avaient quelque chose à dire. Comme si, par exemple, au début de la Recherche du temps perdu, Proust voulait nous dire : « Je veux vous parler du problème de la mémoire ».

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Persistance de la mémoire

L’hypothèse peut s’entendre, mais elle ne vaut pas plus qu’une autre, rigoureusement inverse, et que je vous livre : pourquoi y aurait-il un vouloir-dire plutôt qu’un refus de dire, un renoncement, un abandon, ou tout autre modalité défaillante de la volonté ? Il faudrait se demander si la peinture, mais l’art en général aussi, n’échappe pas, par principe, par goût, à une théorie de l’intentionnalité du sens. Je veux dire une chose par là : non pas que la peinture soit dénuée de sens, mais que ce sens ne peut pas se laisser comprendre et capter à partir du vouloir dire (du meinen), c’est à dire, à partir d’une théorie de la signification qui trouve son origine et ses concepts fondamentaux dans le langage clair, dans l’expression pure et transparente d’un sujet.

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visite au musée

Je rappelle en deux mots de quoi il est question chez Hegel : l’art est l’expression d’une subjectivité créatrice ; celle-ci se manifeste d’abord dans des formes plus ou moins opaques ou obscures jusqu’à parvenir à une forme de perfection formelle, de plus en plus diaphane, de transparence à soi, qui rend in fine l’art non nécessaire. (C’est ce qu’indique en raccourci toute l’histoire de l’art depuis ses formes brutes jusqu’à ses formes éthérées).

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la création

L’art n’est qu’un moment dans l’esprit pour se conquérir lui-même : c’est à dire, une médiation, un moyen. Or, on voit bien apparaître le paradoxe auquel la thèse du vouloir-dire nous conduit : c’est qu’il devrait conduire à des formes toujours plus transparentes ou économes pour se dire, si bien qu’à la fin il serait pur message sans medium, c’est à dire, silence.

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- Troisième présupposé : même si l’on admet que la peinture veut dire quelque chose, il faut encore s’assurer d’une forme de transcription, de traduction de l’idiome de la peinture dans l’idiome qui est le nôtre. Voilà qui suppose une forme d’équivalence, de correspondance entre deux ordres. Voilà qui suppose que la peinture est déjà une forme de langage, un infra-langage qu’on peut (et qu’on doit) porter à l’expression de sons sens.

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les pots de confiture. JP Pichon Martin

Donc, je résume : parler de la peinture, est un projet qui charrie décidément bien des impensés : une insuffisance de la toile, l’idée d’un vouloir-dire et le pari enfin que ce vouloir-dire se laisse capter et traduire dans notre langage, qu’on peut passer du visible au dicible.
Or, essayons de poser les choses à l’envers, pour voir si elles sont si absurdes que cela : la peinture est un monde clos et suffisant, un pur jeu d’apparences qui n’ouvre sur aucune autre réalité, elle ne veut rien (pas même le beau, ni le vrai), elle n’est pas un langage silencieux qui pourrait s’articuler dans notre langage conventionnel. Voilà, j’en conviens, une définition bien minimale de la peinture, à peine une définition en somme. Qqc qui reviendrait à dire que la peinture est un agencement ou un dispositif de formes et de couleurs, qu’elle nous met face à un certain visible et rien d’autre. C’est assez mince pour introduire à un discours qui s’est donc orgueilleusement intitulé De la peinture…

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Robert Delaunay

Or, je crois en réalité qu’il y a deux façons d’entendre ce De la peinture, deux façons de comprendre ce de, (quand on parle de la peinture en général, mais surtout quand on veut aborder le travail de PM). On peut le comprendre Au sens de à propos de, sur : Sur, au sens d’une vision de surplomb, un point de vue de Sirius, ce que Merleau-Ponty appelait joliment « une pensée de survol ». Je note aussi en passant - mais ça a peut-être un sens, c’est peut-être plus qu’un simple hasard linguistique - que ce sur de position peut s’entendre aussi comme un sûr de certitude. Etre sur (au sens spatial) c’est être un peu sûr.

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collage

Mais de la peinture, ça veut dire aussi : à partir de, depuis. Comme lorsque je dis : « Je viens de Perpignan, j’arrive de Naples ». Il faudrait comprendre le parler de la peinture comme un de qui signifie la provenance. Ce de là, ce de pris en ce sens, n’est pas instituant, surplombant ou premier : il reconnaît tout au contraire sa secondarité, son caractère dérivé, au sens à la fois temporel et spatial.
Parler de la peinture : comme d’un endroit dont on part, dont on vient, comme d’une origine, quelque chose de déjà là. Je voudrais simplement qu’il me soit possible de parler de la peinture en ce sens, c’est-à-dire au sens où ma parole en procède. Ce qui est déjà un immense privilège.

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peinture rupestre


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