Ateliers d'écriture nouvelle formule. Ateliers d’écriture nouvelle formule.

lundi 24 octobre 2016 par Elisabeth

Il a été décidé en fin de séance que les ateliers s’étaleraient sur un plus grand nombre d’heures afin de mieux approfondir des procédés d’écriture, pour que chacune trouve son style dans un souci d’une plus longue production.
Lectrice, lecteur, vous retrouverez chez chacune une même thématique. Ne seront mis en ligne que les fragments rédigés pendant l’atelier. Ce ne sont que des extraits d’une oeuvre complète.
Nous avons commencé par un week-end au bord de l’Ain. Cadre propice à l’inspiration.

Samedi matin.
Première invitation à l’écriture :

Je leur ai lu les trois textes ci-dessous.
Ensuite, il fallait écrire un texte sur les cirque si possible, surtout sur les cercles et les formes rondes.

Allez au cirque. Rien n’est aussi rond que le cirque. C’est une énorme cuvette dans laquelle se développent des formes circulaires…
Allez au cirque. Quittez vos rectangles, vos fenêtres géométriques et vous allez au pays des cercles en action. Le rond est libre, il n’a ni commencement, ni fin. Le cirque, c’est le royaume de la courbe et des couleurs en fête.
Fernand Léger

Le cirque, vois tu bien, avec ses combinaisons à l’infini de cercles et de voltiges, ses entrées de clown réglées comme des valses, est un lieu qui sonne le rassemblement des formes les plus ailées, les plus lointaines.
Pierre Combescot

Tout ce qui fait le pouvoir du monde est en forme de cercle. Le ciel est rond et j’ai entendu dire que la terre est ronde comme une balle. Le vent tourbillonne. Le soleil se lève et redescend en faisant un cercle. La lune fait de même et ils sont ronds l’un et l’autre.
La vie de l’Homme est un cercle d’enfance à enfance et ainsi en est il de toute chose qui est mise en mouvement par le pouvoir.
Nos tentes étaient rondes comme des nids d’oiseaux et elles étaient toujours disposées en cercle, le cercle de la nation…Le carré est la figure réductrice des blancs, le cercle est la figure sacrée du pouvoir indien.
Elan Noir (Indien du Dakkota)

Sabine
SOUVENIR DE CIRQUE
Toute excitée, je me précipite à la maison, crie à la cantonade « Eh ! il y a un cirque ce soir… ! Maman, on y va ? »
Ma mère tout en continuant à tricoter ses kilomètres de laine me dit calmement que ce n’est pas raisonnable du tout d’aller au cirque un soir de semaine.
Je reçois la réponse de ma mère comme un couteau dans le cœur. Je claque la porte monte dans ma chambre et me jette sur mon lit en sanglotant.
Peu à peu, à travers mes larmes…. Mais, que se passe-t-il ? Un trapèze se balance au rythme d’une trompette. Une femme habillée d’étoiles étincelantes s’élance dans le vide et s’accroche aux pieds d’un homme très élégant.
Tout semble si bien orchestré ! Des ballons voltigent à travers l’espace à peine éclairé. Un drôle de clown au chapeau pointu, au nez rouge, aux chaussures recourbées interpelle un gros monsieur assis au premier rang.
Tout me semble aller très vite ! Un claquement de fouet me fait sursauter. Un jeune dompteur aux cheveux noirs plaqués s’applique à faire sauter une lionne à travers un cerceau en feu. Je retiens mon souffle et frissonne. Mon attention est alors attirée par une jeune fille en tutu, en équilibre sur un magnifique cheval.
La musique, l’ambiance m’emmènent dans un tourbillon sans fin. Je me sens aspirée et devenir un enfant du cirque.
Soudain je perçois une voix douce murmurer « chut… elle s’est endormie ».

Marylène
Faire la queue en pataugeant dans la boue, piétiner au froid sous un ciel d’encre,
se serrer maladroitement contre des inconnus, attendre, billet en main, dans un entonnoir long, sombre et étroit pour être projetés enfin par la petite porte étroite dans la demi sphère chaude et lumineuse du cirque.
Pour nous les enfants, le cirque, c’était tout d’abord ce moment de purgatoire malodorant, bruyant, où trop petits et bousculés dans tous les sens, on attendait avec impatience la libération du corps compressés dans une foule de manteaux gris-noirs bien peu aimables.
Longue attente pour entrer au paradis. Cruelle attente, mais nous étions sages car nous savions, oui nous savions, que quelque chose de magique, était tapis juste derrière, caché par cette toile luisante, souple et raide que nous n’osions pas toucher.
Le premier sourire nous attendait tout près de l’autre côté, avec ce personnage fade et près qu’invisible, malgré son haut chapeau bicolore, qui nous proposait, d’un geste ample, un cercle de gradins libres, vaste comme le monde. Nous courrions alors. Nous ne savions où nous placer, heureux de rentrer dans L’autre Monde, un monde de rondeurs, de couleurs, cris de joie, musique grinçante, nez rouges, pantalons trop grands, trop longs, chapeaux trop petits, sauts périlleux, voltiges, tables renversées, chaises, jetées en l’air, rattrapées comme par miracle, de tous petits miracles qui nous faisaient un peu peur et qui, surtout, nous rappelaient qu’au cirque on avait tous les droits, ceux qui nous manquaient à la maison, ceux que les parents n’auraient jamais envisager de nous donner. Nous goûtions la joie des interdits. Ici, la folie pouvait remplir l´espace, ici, nous pouvions exploser de rire, trépigner sans retenue, ici, tout allait de travers pour notre plus grand plaisir, les clowns, les écuyères, les équilibristes, les jongleurs et le prestidigitateur, nous semblaient tous, grandioses.
Et en rentrant à la maison, nous aurions aimé pouvoir les imiter, juste un peu, mais il fallait, une fois sortis du cercle magique, reprendre la ligne droite, celle de la raison, le droit chemin, car nous, nous n’étions pas les enfants de la balle et toute ligne sinueuse chez nous, était proscrite. Nous n’avions que 6 ou 8 ans et les belles courbes de notre jeune âge ne demandaient qu’à s’exprimer en grandes roues, sauts et galipettes, cercles et arabesques, sans fin.

Jacqueline
Le Cirque d’Hiver
Comme son nom l’indique, le Cirque d’Hiver ouvrait son chapiteau au mois de décembre, peu avant Noël.
Je ne me souviens plus dans quel quartier de Paris il était installé mais je me rappelle très bien notre joie enfantine et notre excitation quand nous débouchions du métro et découvrions la grande tente rouge qui se dressait au milieu des immeubles.
Clown rieur et clown triste : comme eux, l’enfant passe si facilement du rire aux larmes. Mais c’était le rire qui triomphait, parfois même le fou-rire, le rire à en pleurer devant les chutes ou les coups de pied au cul.
La peur aussi, celle qui suspendait la respiration quand l’équilibriste si petit tout là haut s’apprêtait à sauter dans le vide. Et l’immense soulagement quand il avait atterri sur ses deux pieds et saluait le public.
Plus que les rondeurs ou les cercles, le cirque représentait un moment particulier où l’enfant retrouve tous ses droits :
Enfant libre qui voltige, saute dans les airs et traverse des cercles enflammés
Enfant sauvage qui parle aux fauves et sait les faire obéir
Enfant lumière qui pare la grisaille de mille couleurs chatoyantes
Enfant roi qui redonne toute sa place au rêve.

Sylviane
ENTREE ENVOUTANTE SOUS CHAPITEAU « CRINS LIBRES »
C’est avec un œil rond, enthousiaste et curieux que mon regard se pose sur cette enceinte de sciure jaune, piste de danse des chevaux si légers de Zingaro.

Elle est faiblement éclairée à la flamme chancelante des photophores déposés sur les napperons circulaires des tables de bistrots qui encerclent cette scène bohème et manouche.
Les chaises aux assises tressées, dont la projection lumineuse au sol révèle des milliers de petits points dorés, projettent leurs ombres sinueuses tels les bras d’une danseuse étoile suspendus en arc de cercle au dessus de sa tête. Leurs dossiers de bois ciré, luisants, invitent et accueillent les dos emmitouflés des spectateurs de ce théâtre équestre.
C’est l’hiver ; mais l’ambiance est si chaleureuse sous cette tente, que l’on oubli les morsures du froid de l’extérieur, lovés ensemble sous cette voute tempérée et animée. La douceur et l’intimité sont palpables avant même l’instant initial de la communion artistique entre l’homme et l’animal. L’harmonie s’installe dans ce cadre et le cercle de Vie réunit acteurs et spectateurs.
Le son des percussions roulent au rythme régulier des battements perpétuel du cœur.
Mon impatience se pose, se limite, mais se poursuit agréablement en une spirale infinie.

Des volutes de fumées dansantes envahissent l’espace, l’arrondissant plus encore en un véritable nid, annonçant l’éclosion de la magie du lien insaisissable entre le corps de l’être humain et les sens affinés du cheval complice.

Elisabeth
Les cirques
Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère m’emmenait au cirque Pinder. Nous avions des entrées gratuites parce qu’elle avait été employée de maison avant son mariage, dans la famille Spiecer. Elle avait « élevé » le fils, devenu directeur.
En vérité, je n’aimais pas le cirque. J’avais toujours peur que les trapézistes tombent, je n’aimais pas entendre le bruit du fouet qui fait se dresser tigres et chevaux. Seuls, les clowns me faisaient rire.
Ce qui m’impressionnait, c’était le chapiteau avec son toit pointu, ses murs de toile et ses formes arrondies.
Adulte, j’ai connu le Grand Cirque de Moscou, le Cirque de Pékin, et le cirque Gruss. N’en déplaise à ma grand-mère, la qualité du spectacle, c’est autre chose que le Cirque Pinder.
En voyageant, les cirques de montagnes m’ont fortement impressionnée. Des roches arrondies où seule Echo répondait à ma voix.
En continuant mes escapades, j’ai découvert les cirques en pierre de la civilisation : Arles, Nîmes, le Colisée, Epidaure, Delphes.
A Rome, les gladiateurs se sont tus. Les lions ne rugissent plus mais les touristes sont bruyants. A Epidaure, on ne déclame plus Sophocle ou Aristophane. A Delphes, le silence raconte les souffrances des athlètes. La mort passe furtivement. La Paix traverse le corps et l’âme.

Mary
Mercredi, une invitation de dernière minute pour assister à un spectacle du cirque Héloise (prononcé el-waze en canadien) donné à la Maison de la Danse. Quel beau cadeau !
Arrivés dans la salle de spectacle au dernier retentissement de la sonnerie, nous prenons place dans les premiers fauteuils qui nous tendent les bras, au deuxième rang, dans la fosse. Le cœur battant, le cou tendu vers la scène, nous assistons au majestueux lever de rideau rouge. Le silence se fait.
En fond de scène, une vidéo nous situe dans un univers d’arcanes où rouages et couloirs se succèdent sans fin. Sur la scène : un bureau à roulettes croulant sous des piles de dossiers qu’un homme saisit un à un puis tamponne sans discontinuer. Une lumière blanche et crue douche le plateau. Un univers froid, bureaucratique, mécanique. Des danseurs-acrobates surgissent, tête basse, uniformément habillés d’imperméables bruns, déambulent, arpentent en tout sens la scène au rythme endiablé d’une musique métallique répétitive, se croisent, s’entrechoquent. Les dossiers s’accumulent, le tempo s’accélère, la frénésie s’empare des corps qu’elle disloque.
Les tableaux s’enchainent ne laissant aux spectateurs que le temps de reprendre leur souffle, les emportant dans une danse à laquelle ils participent au travers des danseurs. L’attention est soutenue, le regard circule d’une forme à l’autre, se fixe par moments sur une figure spectaculaire, sur une forme plus harmonieuse que d’autres, s’attache à un artiste le temps d’un numéro. Les corps sont élastiques, les muscles sont athlétiques, les portés sont périlleux, la chorégraphie audacieuse, le rythme soutenu. Des accessoires entrent en scène pour magnifier les figures acrobatiques enchainées par les danseurs-acrobates.
Un instant de grâce et de poésie : une jeune femme s’enroule, fait corps avec un cerceau qui l’entraine dans une ronde défiant l’apesanteur. Sourire aux lèvres, cheveux détachés, bras déliés, une robe rouge qui rompt la grisaille du décor, la musique s’adoucit, les figures s’inscrivent dans le cercle, mouvements tout en rondeur que l’on voudrait voir se répéter sans discontinuer.
L’espace scénique s’agrandit. À une corde suspendue dans les cintres deux artistes se lient, se délient, se suspendent, s’écartèlent, chutent, et s’accrochent par les bras, par les pieds, par la tête, sans dessus dessous. La salle est médusée, tremble et soutient par son silence les artistes à l’œuvre.
De tableau en tableau, ils défient le carcan de l’univers métallique dans lequel ils évoluent. Les tenues s’égaient, les corps se dénudent. Un clown poète qui rêve de devenir danseur amène par ses pitreries le rire cristallin d’un enfant dans la salle ; il s’y accroche et regimbe de plus belle. Une acrobate au corps de liane traverse la scène telle une nymphe portée par les flots, posant un pas après l’autre son pied d’argile dans le creux des paumes des porteurs aux bras levés qui accompagnent et devancent sa marche. Des grands écarts en V, horizontaux, verticaux, le corps disloqué, contorsionné tout en grâce et souplesse. Que d’entrainements, d’efforts, d’application a-t-il fallu à ces artistes pour arriver à un tel dépassement des limites de leurs corps ! Le résultat est confondant, il laisse croire au public que l’exercice est naturel et aisé. C’est magique ! La magie de la scène et du spectacle vivant.
Le bouquet final est libératoire, étourdissant de virevoltes, de cascades, d’acrobaties enchainées. Le bureau du premier tableau revient sur la scène. Les artistes s’emparent des dossiers qu’ils éclatent et éparpillent au ciel en myriade de feuillets colorés qui tapissent, en retombant, la scène d’un parterre fleuri.
Les applaudissements retentissent à tout rompre, le public est debout, les bravo fusent, trois, quatre rappels, les artistes saluent, ils sont heureux. Nous quittons à regret la salle, des étoiles dans les yeux, étourdis et joyeux.

Marie Noelle
De cercle en cercle, la ronde des rencontres. Je suis encerclée, protégée, entraînée dans la danse de chacun. Un groupe se forme, se compose au gré de son envie, de ses désirs. Il m’emmène un moment, je joue avec lui, avec vous tous, et puis les fils se distendent, le groupe se disloque et je pars vers de nouveaux liens.
Certains cercles se recoupent parfois. Intersections, entrecroisements. Je suis en terrain connu, je suis reconnue, soutenue, portée, emportée.
Toupie toujours en mouvement dans le bilboquet des hasards.
Le tambourin frappe, frappe et je danse dans les rondes

Marie France
Courbes, cercles et voltige
J’ai huit ans. Je suis assise sur le banc de bois, à deux rangs de la bordure de la piste. A mes côtés, mon oncle et ma tante qui m’ont offert cette sortie pour mon anniversaire.
Les numéros qui se succèdent me donnent un peu le tournis. Il y a eu les chevaux, magnifiquement peignés qui tournent et virevoltent en manège, les clowns qui tournent sur eux même en se donnant des coups de pieds au derrière . Ils basculent en arrière, roulent sur leurs épaules et leur tête, se redressent et recommencent dans une ronde déjantée. Je suis très impressionnée par une sorte de vache taillée comme un athlète dont la tête ornée d’une très longue paire de cornes en forme d’arabesque tourne de droite à gauche et semble défier tantôt les spectateurs, tantôt son dresseur. Ses tours de piste sont ponctués de coups de sabots sonores donnés dans la barrière de bois qui semblent signifier : « Je ne suis pas d’accord avec ce que l’on me fait faire ». Le numéro des trapézistes est celui que je préfère. Ils évoluent dans les airs comme dans un microcosme d’apesanteur. ça me fait un peu mal de garder la tête levée mais ça me fait envie aussi. Se balancer en costume scintillant, lâcher le trapèze et s’enrouler autour de soi pour se dérouler dans le même élan et attraper sans à-coup les poignets du partenaire et repartir ensemble comme un serpentin pour se lâcher à nouveau et s’éloigner et se retrouver. Un mouvement perpétuel, si mortel et si facile.
Quand monsieur Loyal annonce la parade finale qui déferle comme une vague colorée, le public envoie ses applaudissements et ses cris au centre du tourbillon animal et humain. Puis c’est fini. Le cercle de sciure et de lumière est toujours là mais vide. On se lève, on se faufile vers la sortie, vers la voiture, des images plein la tête.

Ces textes ont été écrits la matin. L’après-midi, nous avons travaillé sur la relecture et la réécriture par petits groupes.

Dimanche matin.
L’objectif est de placer son histoire dans un cadre.
J’ai lu "les murs" de Georges Perec extrait d’espèce d’espace
"Je mets un tableau sur un mur. Ensuite, j’oublie qu’il y a un mur.....J’ai mis un tableau sur le mur pour oublier qu’il y avait un mur mais en oubliant le mur, j’oublie le tableau...."
Texte humoristique qui commence par une citation de Jean Tardieu :
"Etant donné un mur, que se passe t-il derrière ?

Marylène
Le Palais Royal est un beau palais, dit-on.
Le Palais Royal se dit en chanson.
Le Palais Royal, histoire ou vision.
Le Palais Royal, en un mot comme en trois, c’est treize lettres.
Qui n’aime pas le chiffre treize, n’aime pas le Palais Royal.
Avec six consonnes, il sonne bien, mais combien de cloches au Palais Royal ?
Les sept voyelles du Palais Royal appellent, de leur petite voix fluette,
gueux et manants courbés sur leur labeur,
au respect.
Ils lèvent des yeux éblouis tout la haut où se dressent clochetons et tourelles,
là-haut vers le ciel.
Les grands murs percés de fenêtres à meneaux, pierres blanches, fentes noires qui regardent loin.
Loin à l’intérieur,
La salle des gardes et la chambre du roi, le lit à baldaquin.
Loin dans le temps.
Dans ce temps lointain où, le roi dans son lit, était au chaud sous son édredon de plume d’oie,
Cheminée éclairée d’un grand feu de bois, la chambre était chaude.
Tapisseries douces, accrochées aux murs froids.
La main du roi, blanche, parée d’or, s’y promenait doucement.
Dans ce temps lointain, le roi, dans son palais, était seul.
Il attendait la fin.
La fin est venue sans le prévenir, il n’avait pas prévu cette fin là.
Les gueux et les manants y étaient pour quelque chose.
Les murs ne se sont pas écroulés.
Le Palais Royal est toujours là.
Colonnes blanches et noires, droites comme des i se pavanent en son centre.
Manants et freluquets y jouent à saute moutons,
sur le E, le A, le O et le U et même sur l’ Y Grec.
Voilà que, derrière les hauts murs du Palais Royal il y a la Grèce toute entière,
celle d’Elisabeth, duchesse des mots,
celle de ma sœur Anne, princesse des voyages.
Mots en voyage,
par delà les murs du Palais Royal.

Marie Noelle
J’aime l’aspect rugueux et composite des murs en terre des oasis, fragiles comme les murs en pisé de la Dombes. J’admire le génie de ces hommes du désert, démunis de tout, et je les imagine mélangeant l’eau, la glaise, des résidus de végétaux. Sans doute, foulent-ils au pied ce conglomérat plus ou moins épais. En font-ils des briques qui sècheront au soleil, ou bien préfèrent-ils le transporter encore semi liquide dans les paniers en alpha de leur âne bâté ? A l’aide de leurs maigres outils, et à mains nues le plus souvent, je les vois modeler cette pâte ocre et brune. J’imagine la constante vigilance, les soins quotidiens pour que ces demeures d’argile restent debout malgré tout. Travail de patience, d’ingéniosité qui leur a permis de construire ces villages fortifiées où nous déambulons comme des intrus.
Accompagnés d’enfants rieurs et malicieux, nous distribuons de larges sourires et nous nous faisons tout petits. Parfois une porte s’ouvre, mais l’entrée en chicane nous cache la cour intérieure. Nous devinons cependant un sol en terre battue, soigneusement balayé, un rideau qu’une main soulève, une silhouette féminine qui hésite entre crainte et curiosité. Tout n’est que terre, tout n’est que sable dans le village aux ruelles resserrées. Certaines maisons sont écroulées, victimes de rares orages, victimes de l’abandon. La poussière prend à la gorge, l’âcre odeur du feu de kanoun(1) traîne dans l’air et la chaleur nous écrase. Par vent de sable, ce doit être une fournaise invivable. Misère d’un monde oublié.

1. Kanoun : Fourneau bas , en terre ou en métal, apparenté au braséro, utilisé en Afrique du Nord pour le chauffage ou la cuisson des aliments.

En contrebas, la fraîcheur de l’oasis. Fière de mon récent savoir, je distingue les trois niveaux de culture. Les plus hauts, les palmiers dattiers, majestueux et bruissant dans le vent. Plus bas, les arbres fruitiers : grenadiers, néfliers, citronniers. Au sol, les plantes maraîchères, irriguées grâce à un réseau de canaux. Je retrouve, émerveillée, ce que j’ai lu, ce qu’on m’a expliqué mais la réalité me laisse un goût amer. Certains palmiers sont desséchés et meurent, et des pans entiers de la palmeraie semblent à l’abandon.
Pourtant, on s’affaire là-bas et on s’interpelle joyeusement. Un homme, grimpé au sommet d’un dattier, élague les palmes mortes à l’aide d’une machette et les laisse tomber en veillant à garder son équilibre. Au sol, une jeune femme à la robe rouge ramasse les branches et, d’un geste gracieux tente d’en former un tas. Mais le vent contrarie ses efforts. Elle nous aperçoit, nous sourit, et ensemble nous rions.

Elisabeth
« Oui, je suis resté passionnément fidèle à la grande révélation hellénique de mon adolescence…………La conclusion qui s’était douloureusement imposée à moi, lors de ce premier voyage, c’est que j’appartenais de cœur et d’âme à cette Grèce chérie, que seul un affreux malentendu de la destinée, m’avait fait naitre ailleurs. »
La première fois que je suis allée en Grèce, en 1965, j’ai ressenti ce que Michel Tournier fait dire à Balthazar dans « Gaspard, Melchior et Balthazar », cité ci-dessus. Il l’a peut-être éprouvé lui-même.
Moi aussi, je me suis sentie grecque et je le suis encore.
Troublante Grèce, berceau de l’Europe, berceau de notre culture.
Gaulois, Celtes, Germains, Romains…Peu importe, c’est la culture grecque qui domine.
Mon âme est restée là-bas depuis 1965, un demi-siècle, depuis que j’ai vu ce ciel si bleu dès sept heures du matin, depuis que j’ai senti le cyprès et l’origan qui se mêlent, depuis que j’ai foulé la terre ocre des origines, depuis que je me suis baignée dans la lumière.
En Grèce, le ciel et la mer s’unissent en miroir.
En Grèce, les murs sont blancs. Ils sont éclatants sous le soleil.
En 1967, les stigmates de la dictature les ont égratignés. Ils saignaient. « Souviens toi du 21 avril » Je saignais aussi parce que le 21 avril c’est mon anniversaire. Que cette date soit associée à un crime, me désespère.
Alors qu’elle prône l’unification, l’Union Européenne a dressé un mur invisible entre Bruxelles et Athènes. Comment peut-on penser exclure l’état qui a fait naitre ce vieux continent ? Comment parler de démocratie alors qu’on rejette le pays d’origine ?
Il m’a été rapporté que la forêt, qu’on appelle « Mer d’oliviers », qui s’étend de Delphes à Itea a été grillagée. C’est un mur contre nature. Le vent dans les feuilles argentées fait-il encore penser à des vagues ?
C’est un monde qui se referme.
Il s’ouvre dans mon souvenir, l’éclat de sa blancheur.
La lumière traverse les murs où qu’ils soient, quels qu’ils soient.
La blanche colombe de la paix regarde avec nostalgie les conquêtes d’Alexandre le Grand.

Mary
Un lit adossé à une fenêtre donnant sur un balcon, une tablette sous la fenêtre et en dessous, un placard avec du linge et quelques livres. Deux rideaux rouges occultent le jour. Un lit de 120, plus grand il ne serait pas rentré, coincé contre une mince cloison ouverte sur la partie haute et derrière, le couloir d’entrée de l’appartement. A gauche du lit, une autre cloison sépare la pièce de la salle d’eau commune. Un lieu de passage, une espèce d’espace, pas de porte si ce n’est celle d’accès à la grande chambre des parents. Voilà ma chambre.
Mon frère, lui, dort dans un cosy coincé dans un angle de la salle à manger. Pas très cosy ni chaleureux, Jean a un sommeil agité, il cogne ses grandes jambes contre le bois qui gémit et fait trembler la cloison. Le cosy nous sert de banquette pour regarder la télévision qui trône dans un coin de la pièce.
Le soir, nous montons, mon frère et moi, avant les parents qui restent au magasin situé au rez-de-chaussée, ils viendront se coucher plus tard. Nous passons par la rue et nous nous engouffrons dans l’allée de l’immeuble pleine de courants d’air, nous nous arrêtons en passant aux toilettes que nous partageons avec nos voisins de palier, nous faisons vite car la minuterie ne dure pas longtemps. Nous tournons la clef et nous entrons dans l’appartement silencieux. Nous ne nous parlons pas, Jean et moi, rien à se dire, rien à partager, je suis trop petite, je ne comprends rien à rien. Il s’enferme dans la salle à manger, je me réfugie dans mon grand lit et commence alors la veille, à la lueur du radiateur en fonte vernissée qui émet parfois des pets sonores quand la rampe de chauffage s’enflamme. Je rêve les yeux grand ouverts, les ombres s’invitent, je joue avec, je m’invente une autre histoire, je suis fille du roi et de la reine d’Angleterre, je grandis entourée de nurses, curieusement je me sens très seule dans cette vie là, délaissée. Je m’attendris et je pleure parfois sur le sort peu envieux de cette petite princesse. Je m’imagine dans une grande chambre, entourée de jouets, protégée par des murs tout autour et une porte close.
Quand j’entends mes parents rentrer, je fais semblant de dormir. Maman vient m’embrasser, je sens sa chaleur, son odeur de pain chaud. Son baiser est long et humide, sa main s’attarde sur mon front, elle remonte la couverture sur moi, elle s’en va. Je peux m’endormir, enfin.

Sylviane
A LA LISIERE

« Etant donné un mur, que se passe t’il derrière ? »

Ce mur, Le mur, long, si long, tellement long que je me demandais, petite, s’il avait vraiment une fin, un angle, une ouverture ? Je le regardais défiler par la fenêtre de la voiture que mon père conduisait et qui descendait ce boulevard infini. Ce mur uniforme, unique et commun d’un crépi jaune délavé m’inquiétait mais aussi m’interrogeait par le mystère de ce qu’il pouvait cacher ; le mystère de son interminable longueur.
Ce mur grossit à la loupe sous mon regard tellement mes yeux restaient fixés dessus.
Cette enceinte immobile malgré la vitesse du véhicule, lourde comme une muraille de forteresse, comme une alerte au danger et que je n’oublie pas après le carrefour du feu tricolore. Est-il fait pour être oublié d’ailleurs ? Peut-être par les grandes personnes ? Pourquoi ce silence, cette indifférence de leur part devant ce mur ? Pourquoi ne disent-elles rien à son propos alors qu’elles nous gavent d’histoires sur la grande muraille de Chine, le mur de Berlin, le mur des Lamentations, les murs classés au patrimoine, ceux des abbayes, des cathédrales, des châteaux…. Magnifiques….
Pourquoi ce silence devant ce mur, pourquoi le mur du silence ? Un interdit indicible, un interdit ambiant me dissuade de poser des questions. J’attendrai le moment de savoir car je sens qu’il y a quelque chose derrière ce mur qui doit faire peur, qui me fait peur.
Mais qu’y a-t-il derrière ce mur ?
Un trou noir ? Le néant ? Des monstres dangereux ? Une arme terrible, destructrice ? Mais quoi de si effrayant, d’inapprochable, d’improbable, qu’il faut taire et cacher secrètement ?
Ce n’est que plus tard, par mes propres moyens, renseignements volés subrepticement au cours d’une conversation, que je découvrai que ce mur est le mur de la folie, ou plutôt, celui de la maison des fous, établissement hospitalier psychiatrique du Vinatier.

Mais c’est quoi la folie ? Est- elle différente de la réprésentation que l’on peut en avoir ? Qui sont les fous ? La question vaudra bien que je m’y penche lorsque je serai plus grande. Et par cette entrée inquiètante et mystérieuse dans ce monde reclus de notre monde, la question reste toujours vivante en moi.
Un mur pour enfermer la différence, un mur pour cacher la honte, pour protéger, pour soigner... et désormais je cherche toujours à passer ce mur, le dépasser, l’escalader pour comprendre, pour interroger où commence et où s’arrête la folie ?
Ce mur ne m’arrêtera pas et j’essayerai tant bien que mal avec observation et patience d’étudier, de cerner le mystère qu’on y a enfermé.
Franchir ce mur approcher et rencontrer l’autre, l’autre et son esprit autre.

Marie France
Le mur
Assise sur les marches je contemple la montagne dressée face à moi. D’Est en Ouest elle déploie ses pics, ses névés, ses pierriers, ses forêts, ses pâturages, ses sentiers, ses torrents. Cette chaîne montagneuse, je l’ai beaucoup dessinée, peinte, photographiée, admirée. Au soleil couchant, passant du rose au violet, au soleil levant, ligne bleue aquarelle, en plein midi, quand le soleil fait briller le toit de tôle d’une cabane, sous la pluie, sombre et ponctuée d’amas nuageux qui s’accrochent aux reliefs. Tout en bas, la vallée, la rivière, grise des sédiments pris tout au long de son cours. La route et l’autoroute encadrent la rivière. Quelques industries se signalent par leurs fumées. Les villages sont posés, comme des bijoux sur les premiers contreforts. La montagne délimite un monde clos. Son autre versant est un autre monde. Le versant qui lui fait face, là oû je me tiens, la complète. Les torrents et les rivières ont creusé ses reliefs. Il y a des millénaires, des glaciers la recouvraient, l’écrasaient, la taillaient, la façonnaient. La pluie, la chaleur, le gel, le vent, ont peaufiné le travail des glaciers. Toute cette masse de roches, de terre, de végétaux et d’eau que je contemple aujourd’hui sera différente demain. Il n’y a de permanent que le changement. Rien n’est définitif. Et moi, quand j’essaie d’arrêter le temps avec mes croquis, mes peintures, c’est comme si je voulais arrêter l’eau qui coule.