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lundi 29 décembre 2014 par Elisabeth

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L’atelier s’est déroulé au "Français", un café, il fallait choisir une ou plusieurs tables, observer et imaginer la vie des personnes présentes.

Marie

À la terrasse du " Français"
Elle est partie tôt ce matin. La nuit était noire. Elle a rejoint la cohorte des grands banlieusards qui transhument chaque jour aux aurores sur Lyon. Les yeux gonflés de sommeil, le col de son manteau relevé, elle se fond dans le paysage qui défile sous ses yeux. Eux ne le regardent plus. Ils sont repliés sur eux-mêmes, isolés, les écouteurs sur les oreilles, le nez dans le journal, sommeillant pour certains. Un espace de transit, suspendu, avant la plongée dans l’atmosphère froide et humide de ce début d’hiver. À l’approche de l’agglomération, le rythme s’accélère, les corps se croisent, s’entassent, indifférents, chacun en route vers son destin.

Elle rejoint sa fille Céline qui depuis septembre est venue sur Lyon suivre des études d’infirmière. RV au Français 9:00 pl A Poncet sortie métro Bellecour. Un SMS bref, sec et frais. Bise ou mieux bisou aurait adouci le propos. Qu’a-t-elle à me dire ?, n’arrête-t-elle pas de se demander depuis que Céline lui a dit qu’elle voulait la voir, seule, ce matin. Elle a prétexté un moment à partager pour faire les derniers achats de Noël mais elle n’y a pas cru. La demande a été jetée à la volée, juste avant son départ le week-end dernier, sur le pas de la porte. Comme si elle n’avait pas trouvé les mots auparavant pour dire … dire quoi ?

À la sortie du métro, un peu désorientée, elle rejoint son rendez-vous, ses pas s’accélèrent, elle est fébrile, le froid s’infiltre dans son col. Céline est déjà arrivée, elle l’aperçoit à la dérobée derrière la vitre du café, le regard plongé dans le noir de son café, la bouche en accent circonflexe. N’a-t-elle pas maigrie ?

Elle pousse la porte du café, respire profondément et se retrouve face à sa fille, surprise dans sa rêverie. Un long échange du regard, puis elles tombent dans les bras l’une de l’autre, un flot de larmes submerge Céline qui se blottit dans ses bras.

Elisabeth

Etait-il là avant que nous nous installions ? Je ne pourrais pas l’assurer.
Qui était-il ? Lui qui a tout écouté avec ses airs d’indifférence mais qui a dû s’amuser dans son fors intérieur.
Jouons les Céline, "ça a commencé comme ça"...Nous avions décidé les copines de l’atelier d’écriture et moi-même de nous rendre au café Français pour observer des consommateurs et imaginer un petit morceau de leur vie. J’ai observé du coin de l’oeil pour comprendre de qui parlaient les amies mais je n’ai pas écrit.
Nous nous sommes d’abord installées en terrasse. Quand les textes ont tous été rédigés, nous sommes entrées dans une salle à l’intérieur, à l’abri des oreilles indiscrètes et surtout pour que personne ne comprenne qu’il ou elle avait été la cible de nos observations.
J’ai observé la salle, des reproductions de Lempickka, une ambiance années 50.
Lui ! Sur ma gauche ; de profil. Un sourire ? Un rictus ? l’oeil vif ! L’air de dire : "j’ai bien fait de m’asseoir à cette table."
Myriam a lu son texte, nous avons commenté, ri, apprécié. Ce fut le tour de Jacqueline, celui de Marie Noëlle qui avait transformé les Grecs de Myriam en Serbes, le tour de Sabine qui avait choisi le même drame que celui de Marie.
Imperturbable ! Il est resté imperturbable à chaque lecture. A t-il apprécié ? A t-il ri sous cape des textes ? De nos commentaires ?
Sentant la fin de nos conversations, il a disparu. Très discrètement.
Nous, nous sommes restées perplexes. Qui était-il ?

Jacqueline

Un jeudi de décembre 2014, elles ont décidé de se retrouver au café « Le Français », sur la place Antonin Poncet. Il s’agira d’écrire à partir des conversations entendues, en essayant de comprendre qui sont ces personnes, ce qu’elles font là…
Pour l’instant, l’endroit est plutôt désert. Dehors, pluie battante. Une serveuse s’évertue à faire tomber l’eau accumulée sur le store avec un balai brosse. Sur la place, des piétons encapuchonnés se hâtent. Plus loin, les voitures, tous phares allumés, passent en éclaboussant les trottoirs. Seule touche de gaîté : un petit oiseau a pénétré dans la véranda et volette de table en table à la recherche de nourriture.
Une femme seule s’installe à une table, commande un « café allongé », se met à lire le Canard Enchaîné. Qui attend-elle ? Un homme ? Une femme ?
C’est une femme… Elle est visiblement en retard, s’excuse, s’assoit et commence aussitôt à parler sans interruption. Difficile de l’entendre car elle me tourne le dos. Il est question de son père, on vient de l’opérer, il doit être très vieux, peut-être même dément. ..
Elle finit par demander à son amie « Et toi ? ». « Oh moi, c’est autre chose ! » répond celle-ci qui raconte à son tour une histoire de maladie. Une petite fille de 7 ans, atteinte d’une mucoviscidose. Son amie l’interrompt assez vite pour reprendre la parole. « Non mais moi, je… ». Je vois ses grandes boucles d’oreille qui s’agitent ainsi que ses mains. Son amie, l’approuve en hochant de la tête.
A présent, le petit oiseau passe entre les tables, seul lien entre les clients. A vrai dire, il m’intéresse plus que tous ces gens anonymes qui m’indiffèrent !

Marie Noëlle

Le brouillard enveloppe la colline de Fourvière et une fine bruine tombe sur les parapluies. Les arbres portent encore leurs feuilles dorées. Matin morose de Décembre. Et pourtant les six écrivaines ne sont pas tristes car elles ont rendez-vous au Café Français, place Antonin Poncet. Jour d’écriture, jour heureux.
Installées sous la véranda, elles dégustent thés et croissants, perchées sur des chaises hautes, telles des poules sur leur perchoir, sur leur « jacadou » comme on dit dans le Mézenc. La consigne du jour les incite à une coupable indiscrétion. Que disent les clients attablés aux tables voisines ? Qui sont-ils ? Quels liens les unissent ? L’exercice est délicat, un peu troublant, mais savoureux. Epier ses voisins à leur insu, n’est-ce pas un péché, véniel sans aucun doute, mais péché quand même ?
Dans l’angle de la pièce, un couple, face à face. Quels sont les rapports entre cet homme et cette femme tous deux d’une quarantaine d’années, cadres chics et décontractés, qui se tutoient et parlent boulot ? Apparemment, il la met au courant pour la piloter, l’avertir des objectifs cachés, la « briefer », comme on dit dans le monde de l’entreprise. Il est certainement son « N + 1 ou son N + 2+ ». Les termes techniques abondent : Expertise, réunion à distance, peu de supports, il faut en créer, pré rendez-vous… ». Elle l’approuve sans cesse, flattée par cette relation professionnelle privilégiée ; « C’est comme tu veux,… 18 heures 50, pas de problème,… Je t’en prie ».
Les écrivains, le nez sur leur copie, tendent l’oreille discrètement, s’échangent des regards entendus, guettent les entrées et les départs. Conspiration émoustillante.
A côté, deux femmes s’épanchent, se confient, s’indignent.
Dans le fond, quatre amis sexagénaires plaisantent et s’interpellent dans une langue de l’Est : roumain, polonais, serbe ?
Les deux commerciaux, toujours très affables, quittent la salle.
Ils ne sauront jamais que six vieilles pies les ont espionnés et ont immortalisé leur rencontre.

Myriam

Dans un angle près de la porte, une pâle jeune fille blonde habillée de gris parle avec une femme en noir, entre deux âges, qui présente un embonpoint maladif.
Dans l’angle opposé, un couple de trentenaire. Lui sûr de lui, elle l’écoute, l’air ravi.
Un homme, cheveux gris, la soixantaine, un parapluie à la main - dehors, il pleut à verse - cherche une table des yeux et jette son dévolu sur une table de quatre près de la fenêtre.
A une table derrière des voix de femmes :
- un chocolat et des croissants.
- pour moi un thé.
- tu as pris des responsabilités ?
- par la force des choses....
Deux hommes entrent, soixante à soixante dix ans , l’un avec une écharpe orange, l’autre portant une casquette, ils s’assoient à côté du premier grisonnant. Un troisième au crâne rasé, plus jeune, les rejoint.
- elle voudrait rester à Lyon...
- au point où en sont les universités
Du côté de la quadrette de sexagénaires :
- quatre cafés et des verres d’eau.
Une jeune fille avec une tresse retenue par une barrette sur le côté du visage vient s’asseoir à une table libre, près de la fenêtre, elle sort aussitôt un livre et se plonge dans sa lecture.
A la table des hommes, sourires, rires...l’écharpe orange raconte une blague. Ils parlent entre eux une langue douce aux consonnances latines, du portugais ? non cela ne chuinte pas, de l’espagnol ? non cela ne roule pas, Un dialecte italien ? des grecs ? alors pas de consonnances latines.
On imagine quatre vieux grecs buvant un ouzo, au café du port d’une petite île des cyclades. Mais on est à Lyon, par un jour de décembre froid et pluvieux.
Un jeune homme se défait de son blouson mouillé et s’installe avec son Mac.
- un café s’il vous plaît !
Le jeune homme se branche et le Mac s’éclaire sur une image de héros flamboyant. Il pianote frénétiquement.
Les deux femmes, se lèvent pour partir, la grise toujours aussi mélancolique et la noire toujours aussi énigmatique.
- et c’est la première fois
- le ton de l’expertise..
Les vieux grecs, - ou peut-être des yougoslaves- parlent fort. On entend le mot "dottor", une de leur connaissance est malade ? la tristesse passe dans leurs yeux, un cancer ?
- configuration de gens...
- trajectoires sociales...
La jeune fille à la tresse barrettée lève les yeux de son livre et jette des regards du côté du jeune homme au Mac, puis elle tourne le regard du côté de la place et des bancs mouillés, rêve inabouti...
Bruits de chaises du côté des vieux grecs -ou yougoslaves- ils plongent leurs mains dans leurs poches pour en ressortir de la petite monnaie, qu’ils comptent en rigolant. Ils s’en vont, les deux plus vieux, la clope au bec.
La jeune fille barrettée accueille une amie du même âge, les cheveux blonds coupés au carré, elles se mettent à discuter de leurs partiels qui auront lieu début janvier.
- trois jours au bureau...
- et les déplacements ?
Le couple de trentenaire se lève
- bonnes fêtes de Noël !
- merci, j’ai encore un rendez-vous, je prends le train demain.

Marylène

Tout va bien ! Tout va bien !
Cet après midi je retrouve les copines au Français !
Super, mais je ne connais pas ce Français ; je cherche sa localisation sur internet puis un rapide coup d’œil sur les avis : ça n’a pas l’air terrible question gastronomie ni même comme accueil ! Risque majeur de déception après nos chics cafés gourmands de Caluire-city chez « la mère Slamany » !
Advienne que pourra, pas de temps à perdre, je file place Antonin Poncet.
Derrière les vitres brunes de façade j’aperçois les copines en pleine conversation ; impatiente, je suis la dernière, je me faufile entre les rares clients attablés à cette heure matinale, me trouve une place entre Myriam et Jacqueline. Derrière moi je sens une présence qui me semble connue, son sourire quand je suis rentrée, son petit chapeau rouge en forme de toque qu’elle n’a pas retiré, je l’ai frôlée en m’asseyant, elle n’a pas bronché, je la connais ? Oui mais d’où ? De quel cercle d’amis ? Une voisine ? Si on se connaît, pourquoi n’a-t-elle pas réagi ?
Bon, il n’est plus temps de se questionner, je la laisse à son histoire et m’engage dans la mienne.
Tout va bien, tout va bien ! Les mots, les idées comme les serveurs vont et viennent. Une vague de froid rentre avec chaque nouveau client. Tiens celui-ci qui se racle la gorge au seuil de la porte, il hésite, jette un regard circulaire et se dirige vers nous, il n’a pas l’air en grande forme, teint blême, épaules contractées, dos vouté poussé par le vent d’hiver, il cherche quelqu’un, est-ce « le nouveau » tant attendu de notre cercle très fermé ? Elisabeth ne nous aurait pas prévenues ? Ce serait la surprise de l’année ? Le père Noël en décembre ! Bof, il n’a ni barbe ni houppelande carmine ! … Et zut, il passe sans un regard pour nous, pousse une chaise derrière moi et s’installe en face (ou à côté ?) de l’inconnue au chapeau toque.
Il lui fait la bise, « un peu superficielle », me semble-t-il … Je n’ose me retourner.
Silence, entre eux, regards tendres ? Attente, longueur indécise du temps.
Me couler dans leurs pensées, leurs envies, leur passé proche.
Se connaissent-ils depuis longtemps ? Nouvelle rencontre amoureuse ?
Si j’étais lui … Si j’étais elle … Non, non, ni lui ni elle ! Leur silence interminable me dérange, j’aimerais qu’ils parlent, juste un mot une phrase, mais rien, leurs mains peut-être parlent, mieux qu’eux ? Mais je n’ose toujours pas me retourner …
Soudain un nouveau courant d’air : une troupe de jeunes gens de belle humeur rentre et fait masse devant la porte, se congratulant bruyamment ; ils arborent tous des écharpes noires et rouges brodées d’un loup blanc ; pas possible de se tromper ce sont des supporters du LOU, un match aurait-t-il lieu ce soir ? Ils s’installent au centre de la grande salle font cercle autour d’une toute jeune fille ronde et grande comme une nouvelle tour de la Part Dieu, on dirait un sumo féminin ! Ils l’entourent, la félicitent, c’est elle la vedette, star d’une tonne pour le moins ! Elle n’a rien à envier aux starlettes longilignes de nos magazines à la mode, elle trône majestueuse au milieu de garçons de son âge et bien aussi baraqués qu’elle. Je suis impressionnée par cette fantastique ovation à une si grosse, si jeune, femme, le centre du monde de la féminité hors norme ! Tout va bien, tout va bien.
Dans cet intermède joyeux j’ai oublié le couple derrière moi, il s’est évanoui, brusquement je me retourne, ils sont encore là, en pleine conversation animée, chaleureuse, ils ont étalé des photos devant eux, celles d’un voyage commun ? Leurs doigts se pointent sur un détail, elle rit, il s’étonne, et subitement, alors que je les regarde sans honte d’être indiscrète, elle lève la tête, me fait un petit signe de connivence : « mais oui, bien sûr c’est elle ! »
Je l’ai reconnue enfin : son sourire, ce geste de la main, il y a si longtemps que je ne l’avais vue, elle a un peu vieilli (et moi donc ?), son chapeau retiré laisse voir une belle chevelure ondulée toujours blonde et, son regard bleu resurgit d’un passé commun où nous étions collègues de travail, elle secrétaire de direction, et moi et moi ?…
Je lui rends son geste amical et fais mine de ne pas vouloir la déranger plus.
Le faux père Noël auprès d’elle, me sourit également. Une petite voix intérieure me dit : « Henriette a trouvé son âme sœur, tout va bien ! »
Je reprends le cours du temps, mon temps à moi avec quelques copines malicieuses qui ne me lâcheront pas tant que je n’aurai pas lu mon histoire à voix haute.

Sabine

AU CAFE FRANÇAIS
Encore en avance … Je suis toujours en avance pour les rendez-vous. Il pleut, les baleines de mon parapluie se recroquevillent et des gouttes de pluie tombent sur mes chaussures. Je pousse la porte d’un café pour passer le temps. Une chape de chaleur me tombe dessus. J’ai trop chaud.
A cette heure matinale, la salle est presque vide. Par les baies vitrées, un troupeau de parapluies défile au pas de course. Encore une heure à attendre. La serveuse a mal dormi je pense. L’accueil est aux couleurs du temps : gris et froid. « Ne mettez pas votre parapluie ici… ». Je déteste être bousculée dès le matin. Je m’installe dans un coin. En face de moi, deux femmes. Une mère et sa fille, je suppose. Face à moi, une ado. aux longs cheveux d’ado. au regard rebelle d’ado. aux ongles multicolores d’ados. Impression d’un tribunal . Je ne vois que le dos de la femme, sa mère sans doute, si j’en crois sa stature voûtée, accablée, secouée de haussements d’épaule. A ces soubresauts répondent des soupirs, des yeux levés au ciel. Je n’entends aucune parole, mais je perçois le ton qui monte. Tout est geste. La mère secoue la tête, se voute un peu plus. En vain, la fille explique, persuade les yeux embués de larmes. Incompréhension.
Peut- être la fille essaie-t-elle de dire à sa mère qu’elle veut avorter ou partir en Ouganda pour la vie ou entrer en religion ? De plus en plus intriguée, je tends l’oreille, mais le brouhaha de la salle couvre les paroles acerbes.
Mon Dieu, dix heures… Je suis déjà en retard à mon rendez-vous. Je paie rapidement et très frustrée, je sors sous la pluie, laissant ces deux femmes en plein désarroi. Pleine de compassion pour l’une et pour l’autre, je saute dans mon bus avec un goût amer.


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