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Séance de "Danger lecture" consacrée à Annie Ernaux. Séance de "Danger lecture" consacrée à Annie Ernaux.

samedi 28 mars 2015 par Elisabeth

Il y a 6 messages en réponse à cet article.

A la fin de la dernière rencontre, nous avions décidé d’étudier Annie Ernaux. Nous nous étions répartie des oeuvres à lire par "binomes" comme il sied de dire.
"L’autre fille", "La place", "Les années".
Au lieu d’exposés successifs, nous avons échangé sur les trois oeuvres simultanément.
Nous avons dressé un portrait de cette femme à travers ses écrits.
D’abord, toutes de la même génération, nous nous sommes retrouvées dans " les années" ; moi en particulier parce que je suis Normande et que j’ai bien connu ces lieux dévastés de l’ après guerre.
"L’autre fille" nous a semblé être la clé de voûte de son oeuvre. Ce roman révèle le drame de sa vie. cette soeur qu’elle n’a pas connue dont elle est l’ombre. Son existence est due à la mort de cette soeur inconnue avec laquelle elle n’a rien partagé. Elle est le diable, sa soeur est l’ange.
C’est ce lourd héritage qu’elle est obligée de porter voire de trainer, qui détermine sa froideur vis à vis de tous et de tout.
S’ajoute à cela la honte qu’elle ressent d’être d’un milieu modeste et la honte d’avoir honte de ses parents. "La place" qu’elle veut être un hommage à son père, le ridiculise.


Messages

  • Bonjour Elisa,

    Danger lecture comme tu dis !
    On ne sort pas toujours indemne de ses lectures, surtout avec des livres comme ceux d’Annie Ernaux.
    Ce n’est pas la froideur qui me vient par rapport à son oeuvre et ce qu’elle nous dit d’elle. Une certaine dureté oui mais cela n’empêche pas la sensibilité.
    J’avais été bouleversée par "Les armoires vides" et "Ce qu’ils disent ou rien" : l’avortement dans le premier, ce que pouvaient être parfois les relations parentales vues par certains ados dans le deuxième. Les titres sont d’ailleurs évocateurs...
    Quand elle raconte sa passion érotique dans "Passion simple", elle le fait aussi sous forme de récit mais l’incandescence est bien présente !
    Cela fait longtemps que je ne l’ai pas lue. Justement à cause du côté abrupt. Je retiens "L’autre fille " pour de prochaines explorations. Plus tard !
    Je profite de ce message pour dire que je lis avec beaucoup de plaisir les productions de l’atelier d’écriture. Je me suis délectée des dialogues dans le train et je donne une mention spéciale à celui de Sabine, la chute m’a enchantée !

    A bientôt de te lire.

    Camille

    • Effectivement on ne sort pas indemne de ses lectures quand on lit les romans d’Annie Ernaux. D’un côté, on s’y retrouve, d’un autre, on refuse ce que j’appelle la froideur et toi la dureté.
      Pas de cadeau ! Comme la vie ne lui en a pas fait, elle n’en fait à personne.
      Elle s’est emmurée dans sa souffrance.
      C’est comme une catharsis, nous souffrons avec elle pendant la lecture, nous sommes heureuses de ne pas avoir vécu sa vie quand nous fermons le livre.

    Répondre au message 145 du 28 mars 2015, 13:46


  • Bonjour Elisabeth,
    J’ai lu avec intérêt ton article. Quand même une remarque : je ne suis pas d’accord avec la dernière phrase de ton texte : "La Place" qu’elle veut être un hommage à son père, le ridiculise.
    Certes, Annie Ernaux a eu honte de son père à l’adolescence lorsque ses études lui ont fait prendre conscience de la différence sociale entre son nouveau milieu et celui de ses parents. Plus tard, elle a eu honte de cette honte.
    Dans "La Place", elle ne ressent plus de honte. En expliquant d’où vient son père et comment il a vécu, elle s’attache à montrer que sa condition le contraignait à ce mode de vie. En même temps, elle évoque ses qualités de cœur, sa dignité, sa générosité et aussi sa gaieté. En fin de compte, loin de le ridiculiser, elle comprend et affirme sa valeur.

    __0__

    Répondre au message 148 du 4 avril 2015, 19:25, par Jacqueline


  • Salut Elisabeth,
    Intrigué par ton article et la réponse de Jacqueline, je viens de lire « La Place » et je vais ajouter mon grain de sel à vos analyses.

    Pour moi, Annie Ernaux ne cherche pas à écrire un hommage à son père. Son objet, c’est de faire une analyse plate, objective (je dirais clinique), sans pathos ni complaisance, d’une situation sociale qui a été celle du père : la situation de son milieu d’origine, qui l’enferme mais qu’il accepte avec naturel, tout en côtoyant cet autre milieu avec lequel il ne peut communiquer, celui de la petite bourgeoisie de province.
    Cette situation sociale a aussi été celle de la narratrice. Elle a pu en pénétrer une autre par ses études, au point, un moment, d’oublier sa première culture. Son livre, à cet égard, est aussi un difficile effort de mémoire pour retrouver cette situation ancienne, pour analyser et comprendre de l’intérieur ces deux cultures qui sont maintenant les siennes.

    Mais je reviens au père. Qui est-il ? Un fils de paysans pauvres, qui n’a pu rester à l’école et a été placé très tôt chez d’autres paysans pour soulager sa famille. Comme la situation était inacceptable (cf l’épisode de la viande avariée), il a voulu en changer dès la fin de son service militaire et est devenu ouvrier. Un métier où sa valeur a été reconnue, d’ailleurs, puisqu’un temps il a été contremaitre, et où il a sans doute été heureux (la photo de groupe). Et puis, suite à la guerre, il se reconvertit à nouveau. Avec sa femme, ils acquièrent un petit commerce de bar-épicerie.

    Maintenant comme avant, il sait ne pas disposer des codes de la petite bourgeoisie qui l’entoure. Il l’accepte, il ne faut pas péter plus haut qu’on l’a. Lui qui est disert en famille se tait en présence d’autres plus cultivés. Devant des personnes qu’il juge importantes il ne pose jamais de questions. Il fait un effort pour emmener sa fille à la bibliothèque municipale mais ne sait quel livre demander… Il a d’autres valeurs : rapporter le ravitaillement sous les bombardements, bien entretenir son jardin, construire de ses mains les dépendances et un garage, regarder le ciel et savoir le temps qu’il fera… Et, aussi, permettre à sa fille d’accéder à cette autre situation sociale qui lui est interdite. Il le fait, bien qu’il ne comprenne pas ce goût pour les livres et la lecture, qu’il considère un peu cela comme une trahison sociale. Mais à chaque réussite de sa fille, il porte l’espérance qu’elle sera mieux que lui.

    Et sa fille les acquiert, ces codes qu’il n’a pas. Quand elle revient en Normandie avec des amies de fac, son père se met en quatre pour leur faire honneur. Il n’est pas naturel. Le sont-elles ? Sont-elles plus fines, elles qui lui disent « Bonjour monsieur, comment ça va ti » ? En Anjou, on dirait : ce sont des grosses poinfines, avec un peu de mépris (c’est drôle, au Québec on dirait : elles sont ben épaisses. Etonnantes résonnances des parlers anciens).

    Le gendre, lui, n’a pas eu besoin de les acquérir, les codes ! Ils lui ont été inculqués tout naturellement par sa famille : quand on casse un verre, on ne jure pas. On dit : n’y touchez pas, il est brisé. Quel détachement, quel subtil maniement de l’ironie, quel discret rappel d’une poésie que chacun se doit de connaître ! Le père, lui, a voulu que ses économies servent à aider le jeune ménage… Qui est le plus juste ?

    Et ainsi, par ce douloureux travail de mémoire, Annie Ernaux reconstitue cette différence de classes sociales, ce plafond de verre qui a aussi été le sien et qu’elle a pu franchir. Elle ne cherche pas à rendre un hommage à son père, elle ne le ridiculise pas. Elle le restitue dans sa vérité. Elle se retrouve aussi et redécouvre qu’elle l’aime tel qu’il a été, comme une évidence, parce que c’était lui, parce que c’était moi.

    Voilà ma compréhension du livre, qui diffère de la tienne. Pardonne-moi ce long commentaire, mais c’est parce que l’article prête à controverse, et c’est tant mieux !

    • Cher Jean François
      Je suis désolée de répondre si tard mais tu connais les raisons de mon absence du web, les causes de mon blocage.
      Revenons à ma "payse" Annie Ernaux.
      C’est Annie Ernaux elle-même qui a dit que c’était un hommage à son père.
      Son père n’a pas accédé à la petite bourgeoisie de province mais à la situation d’ouvrier un peu plus aisé. par ailleurs, il faut lui reconnaitre qu’il a de l’ambition pour elle mais il ne comprend pas ses études et ne s’y intéresse pas. Il n’a pas raisonné en situation sociale mais en situation financière meilleure. Nous sommes dans les années 50, la fin de la guerre est proche et la situation est difficile en France et en particulier en Normandie.
      Il faut reconnaitre à Annie Ernaux cet effort considérable de mémoire et de justesse sans exprimer ni douleur ni pathos. Elle présente son père tel qu’il était sûrement mais je n’ai senti d’amour ni pour son père ni pour son enfant ni pour son mari. Quant à la mère elle est inexistante.

    Répondre au message 150 du 10 avril 2015, 11:40, par Jean-François


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