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Le thé des écrivains. Chapitre XII. Le jardin d'Elise. Le thé des écrivains. Chapitre XII. Le jardin d’Elise.

vendredi 20 novembre 2015 par Elisabeth

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Sophie, la sagesse, était restée quelques jours à La Ciotat après le départ de Raphael. Elle pensait que cela aiderait sa mère à supporter l’absence périlleuse de son frère. Elles aimaient bien passer du temps ensemble, à discuter, rire, échafauder des vies qui n’existeraient jamais.
Sophie était née en 1977, l’année de l’ouverture du Centre Pompidou qu’on appelait aussi Beaubourg parce qu’il se situait rue Beaubourg. En a t-il fait couler de l’encre avec ses tuyaux de couleurs vives ! Comme la Tour Eiffel, on s’y habitua, on s’y bouscule. Sophie la première.
Cette année-là, on espéra la Paix avec la visite du président égyptien Sadate en Israel mais ce fut en vain. La paix est-elle possible dans cette région où les grandes puissances occidentales ont allumé le feu.
Ce fut l’année de la disparition de figures mythiques, Elvis Presley, the King, Maria Callas, Jacques Prévert, Roberto Rossellini, Charlie Chaplin, Howard Hawks, Georges-Henri Clouzot. Astérix devint orphelin avec la disparition de René Goscinny.
Un matin, après un long petit déjeuner pris face à la mer, Sophie était partie. Elle avait elle aussi ses obligations.
Elise se remit difficilement au travail. Les engagements de son fils la renvoyaient à sa passivité. Elle avait mauvaise conscience mais elle ne croyait plus en la politique pour ne pas dire qu’elle ne croyait plus en l’Homme. Tout lui paraissait ingérable.
C’était facile de dire que ce n’était pas son siècle.
Elle pensa à cette guerre mondiale qu’elle n’avait pas connue mais qui avait laissé tant de traces qu’elle en était imprégnée.
Elle disait ; " La guerre de 14-18, c’est comme si je l’avais faite." tant son grand-oncle lui avait racontée. En échange, il ne parlait jamais de 39-45 alors qu’il avait été un très grand Résistant. La famille l’avait découvert lorsque De Gaulle et Koenig étaient venus en personne, au Havre, pour le décorer.
La mort en soi, n’était elle pas une source d’angoisse suffisante pour que l’Homme inventât la guerre avec ses machines à tuer et ses maladies ?
Elle pouvait présenter un aspect solennel et un certain émerveillement. Candide, Fabrice Del Dongo, Apollinaire lui-même dans ses lettres à Lou, avaient été séduits par son panache.
Mais tant de morts pour le caprice et l’avidité d’un tyran étaient insupportables.
On est bouleversé par les gravures de Callot, Granville, Goya cependant, ils n’ont pas arrêté le démon et les guerres se perpétuent.
On visite horrifié les camps de concentration laissés par les nazis, on en construit ailleurs.
rangées dans des manuels d’Histoire, les guerres se transforment en chiffres et trocs de territoires. Il n’y a pas de place pour les douleurs des peuples martyrisés.
Avant de se remettre à écrire, Elise se rendit à la cuisine pour préparer du thé.
Pendant que l’eau bouillait, elle regarda par la fenêtre.
De la terrasse, on voyait la Méditerranée. Terrasse n’était pas le terme exact car Elise avait transformé cette vaste pièce carrelée en un véritable jardin intérieur. Un système de vitrage restait bloqué à l’Ouest l’été, tandis que l’hiver, on faisait glisser les vitres pour fermer. L’œil n’était pas le seul à se réjouir de ce spectacle ; les senteurs mêlant le jasmin, la verveine, les plantes aromatiques du jardin des simples et d’autres fleurs encore, embaumaient l’air. Sur une vieille étagère en bois, peinte en rouge brique, Elise avait disposé une série de mesures d’étain venant de sa grand-mère Louise et quelques objets de jardin reconvertis ; les plus grands servant de vases pour des nigelles bleues, des agapanthes, des dahlias rouge vif, des lys et des fritillaires écarlates. Une coupe, également en étain, contenait des fruits. Il va de soi que les bouquets et les fruits changeaient au gré des saisons. Dans des pots en céramique vernissée de Biot, Vallauris, Moustier… poussaient ficus, angéliques, alchémilles, hibiscus aux fleurs pourpre, rose pâle ou orangées, bégonias doubles ou pendulas de différents tons, bougainvillées mauve vif, gardénias blancs. On pouvait découper chaque espace en petites Natures Mortes. Quand on la félicitait pour sa « main verte », Elise citait l’historienne d’Art Monique Mosser : « le jardin ça va de la binette à Dieu ; c’est un morceau de monde mis à part pour être travaillé par l’homme. » Elle insistait en rappelant que le monde avait commencé par un jardin extraordinaire, perdu désormais, objet perpétuel de recherche. Notre objectif de vie n’était t-il pas le retour au Paradis perdu ? Faut-il le chercher en dehors de la nature sauvage ou captive ? Chaque jardin construit et entretenu est une offrande à « Dieu », un retour à soi.
Le terrain était pentu ; les fleurs cultivées, les arbres et les arbustes poussaient par paliers indépendants les uns des autres, formant malgré tout un ensemble harmonieux. C’était leur œuvre commune. Normands, tous deux, ils avaient transposé les jardins de leur jeunesse, particulièrement le bois des Moutiers de Varengeville sur Mer et Giverny auxquels ils avaient ajouté les végétaux méditerranéens. Rhododendrons et mimosas quatre saisons côtoyaient des hortensias rose et bleu et des iris multicolores selon leur provenance. Les murs extérieurs de la villa disparaissaient sous une végétation abondante chaudement colorée en communion constante.
Les lieux étaient peut-être bénis mais cela représentait des heures de travail, de la conception à la réalisation et à l’entretien.
Buvant son thé sur la terrasse, Elise pensa au jardin de sa grand-mère Louise. Elle se revit promenant sa poupée dans les allées fleuries qu’elle avait transformées en rue des glaïeuls, rus des hortensias , rue des roses blanches...
Etait-elle heureuse en ce temps là ? Sûrement. Cependant, elle savait que sa grand-mère pouvait mourir d’un moment à l’autre et cela l’angoissait déjà.


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