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Atelier du 11 novembre 2017. Atelier du 11 novembre 2017.

mardi 14 novembre 2017 par Elisabeth

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Nous n’avons parlé d’aucune commémoration. Nous continuons nos chemins d’écriture hors du temps historique, dans notre temps recomposé par nos écrits, souvent dans nos mémoires.
L’atelier a commencé par la lecture d’"Ecrire" de Marguerite Duras.
"C’est dans une maison qu’on est seul. Et pas au dehors d’elle mais au-dedans d’elle.
Dans la parc il y a des oiseaux, des chats. Mais une fois aussi un écureuil, un furet. On n’est pas seul dans un parc. Mais dans la maison, on est si seul qu’on en est égaré quelquefois. Seule. pour écrire des livres qui m’ont fait savoir, à moi et aux autres que j’étais l’écrivain que je suis. Comment est-ce que ça s’est passé ? Et comment peut-on le dire ? Ce que je peux dire c’est que la sorte de solitude de Neauphle a été faite pour moi. Et que c’est seulement dans cette maison que je suis seule. Pour écrire. Pour écrire pas comme je l’avais fait jusque là. Mais écrire des livres encore inconnu de moi et jamais encore décidés par moi et jamais décidés par personne..........J’ai compris que j’étais une personne seule avec mon écriture.
Cette solitude des premiers livres je l’ai gardée. Je l’ai emmenée avec moi. Mon écriture je l’ai toujours emmenée avec moi où que j’aille."
Avez-vous besoin de solitude pour écrire et/ou à quel endroit préférez-vous écrire.

Mary
L’envie d’écrire est souvent présente mais le passage à l’acte bien moins courant. Il faut pour cela que certaines conditions soient réunies. La première, primordiale, est un espace temps suffisamment important pour laisser discourir ma pensée, un temps sans contrainte, sans fin. Auparavant, je serais à jour de mes obligations quotidiennes. Le temps de l’écriture est un temps volé au présent, une parenthèse, un extra, un temps pour soi. Dans l’isolement et le silence impérativement.
La maison doit être vidée de ses occupants, la pièce où j’écris doit être bien chauffée, éclairée par la lumière du jour jusqu’à son déclin, l’écran lumineux de l’ordinateur reflétant les lignes noircies relayant peu à peu le rayonnement de l’astre solaire. Au commencement de l’exercice, car c’en est un, non pas un pensum ni de ceux qui nous étaient imposés par nos professeurs mais de ceux qui demandent une préparation, une mise en route.
La table doit être nette, vidée de son désordre ordinaire, les notes préparatoires couchées au fil des jours dans un petit carnet à portée de main, un plateau avec ce qu’il faut pour se sustenter, petits biscuits et boisson chaude. L’exercice peut commencer.
Le monde extérieur est mis à la porte. Personne ne doit troubler ce moment d’intimité, où je vais à la recherche de l’intérieur vers l’intérieur avant que les mots s’échappent dans un jet dense et brouillon. Ils dansent sur l’écran en farandoles échevelées que la main viendra dompter, ordonner, tricoter.
Qu’importe le lieu où j’écris, l’atmosphère importe plus et inspire mon écriture. Des livres aux murs, des auteurs, des titres familiers avec lesquels j’ai partagé de si bons moments et que j’aurais tant aimé écrire. Leur présence rassurante me guide dans mes premiers pas.

Elisabeth
J’ai commencé à écrire "le thé des écrivains" chez moi, au Valombré.
J’étais seule. Par la fenêtre, je voyais les arbres du petit bois qui entoure l’immeuble.
J’étais bien. Je venais de prendre ma retraite et je croyais encore que j’avais la vie devant moi parce qu’une vie nouvelle commençait.
Les circonstances se sont bousculées. J’ai écrit, j’ai arrêté, j’ai repris et le projet initial de roman est devenu une Nouvelle longue. Pourquoi pas ? Une seule intrigue : Elise parviendra t-elle à écrire son roman ? Un personnage principal, Elise et quelques personnages secondaires, son mari, ses enfants, ses soeurs pour l’ancrer dans l’Histoire de la seconde moitié du XXe siècle, ce qui était mon projet de départ.
Quand je l’ai définitivement repris, pour le mettre en ligne sous forme de feuilleton pour le mettre en ligne sur mon blog, je l’ai écrit chez ma fille.
J’étais seule. Les enfants étaient à l’école, les parents au travail. Par la fenêtre, je voyais le jardin, un grand espace herbu et des arbres fruitiers. C’était calme et propice à la méditation sur cette fin de siècle mouvementée et sur lArt sans cesse en mutation.
Quand je suis dans un endroit public, trains, transports en commun etc...J’écris dans ma tête. Arrivée chez moi, j’ai oublié les phrases que je trouvais harmonieuses. C’est de l’écriture éphémère. En ai-je écrit ainsi des débuts de romans et des lettres qui ne sont jamais sortis de mon esprit !
pour construire réellement un texte, il me faut un jardin parce que je me suis construite dans un jardin, celui de ma grand-mère. J’en avais fait une ville fleurie, rue des glaïeuls, rue des narcisses, rue des rosiers...A Sotteville sur mer, j’ai beaucoup écrit dans ma jeunesse au milieu des pommiers et des hortensias. Puis sont venus le bois du Valombré et le jardin de Lorraine, un peu semblable à celui de la côte normande.
Ici, à Montessuy, j’écris parce que c’est calme et que par la fenêtre je vois mon balcon très fleuri en été et les arbres de l’espace vert au coeur de l’immeuble en forme de U.

Sabine
Où et comment j’aime écrire
Toutes ces paroles, ces regards, ces échanges, ces histoires de vie invraisemblables mais tellement vraies m’envahissent et m’angoissent. Je ne veux les laisser se perdre dans le courant du quotidien. J’éprouve un besoin pressant de mettre en mots tous ces témoignages de SDF, venant d’ici et d’ailleurs pour ne pas oublier. Vite, sans perdre un instant, je m’installe sur une table ronde, saisi mon cahier et mon stylo feutre noir à pointe fine. Les souvenirs s’entassent se mélangent, se précipitent. Difficile pour moi d’ordonner mes idées, de structurer mon écriture. Mon esprit, je crois, est plus clair le matin et je me rue sur mon cahier où je note brièvement quelques points forts retenus de ces nombreuses paroles entendues. Puis, ça y est, la toupie est lancée, je ne veux rien oublier et me voilà à suivre mon stylo qui s’enfuit à vive allure. Comme un automate, je m’assieds toujours à la même place, dans cette pièce souvent baigne de soleil. Le calme y est envoûtant et cet environnement paisible me convient et m’aide à étaler sur le papier tous mes souvenirs devenant alors présents. Les visages de ces hommes et ces femmes à la dérive sont alors en face de moi. Dans ce lieu calme, c’est une sorte d’hommage que je leur rends en faisant vivre leurs paroles.
Je leur donne une place, leur place.

Après le traditionnel "banquet" des particularité de chacune, j’ai lu l’incipit de "Constellation" d’Adrien Bosc. Il s’agit du dernier voyage de Marcel Cerdan persuadé de revenir avec le titre de champion du monde.
Sans que la fin soit aussi tragique, il fallait raconter les préparatifs minutieux d’un événement qu’un grain de sable viendrait perturber.

Mary
Écrire un passage de notre "chantier" en cours dans lequel se glisse un grain de sable qui bouscule une situation bien anticipée.

Au retour de la messe, tu passes chez le pâtissier acheter les choux à la crème dont raffolent ta mère et ton frère, pour ton père ce sera un éclair au chocolat et pour toi une tarte aux fruits sans crème, cela t’écœure. La ficelle du paquet enrubanné te scie les doigts. Tu ralentis ton pas pour ne pas que les gâteaux se renversent et te retiens de sauter, comme à ton habitude, entre les dalles du trottoir qui te sert de marelle. Sur ton chemin, tu t’arrêtes chez l’épicier, voisin de la boutique de ta mère, tu déposes un brin de buis béni, c’est le dimanche des Rameaux. La commerçante, occupée à la vente, te remercie en t’offrant de prendre un ou 2 bonbons qu’elle te laisse choisir dans la réserve. Tu plonges avidement les mains dans les bocaux de friandises offerts à ta gourmandise et te sers généreusement. Tu ressors de la boutique en vitesse dribblant entre les jambes des clients et arrives triomphante à la boutique de ta mère, occupée à servir les derniers clients de la matinée. La ficelle, dans le transport, s’est légèrement déviée de son axe et les gâteaux ont un peu chaviré. Tu les glisses dans le réfrigérateur dans l’espoir qu’ils auront retrouvé leur fière allure au moment de les déguster.
Après le déjeuner, vous embarquez dans le grosse voiture de ton père, direction la "campagne" de leurs voisins épiciers. Ils ont une petite maison de campagne à la périphérie de la ville au bord d’un ruisseau.
Là, tu retrouves leur nièce, Suzanne, une fillette plus jeune que toi, qui te suis dans tes jeux. Suzanne est plutôt chétive ; elle est l’objet de toute l’attention de ses parents suite à une grave maladie qui la rendit fragile.
Tu l’entraines, à l’abri des regards distraits des adultes, dans tes jeux de garçon manqué. Pirouettes, descentes en roulade du sommet du champ en dévers, trottinette dans les allées dallées, dérapages par toujours contrôlés sans les pieds. Vous riez, les joues rougies par la course, bonnets et écharpes fouettant le vent. Vous cueillez au passage les premières fraises sous les fourrés, et vous tressez des couronnes de pâquerettes.
Quand arrive l’heure du goûter, parents vous appellent du haut de la terrasse. Vous déboulez essoufflées pour dévorer la part d’un gâteau de Savoie moelleux accompagné d’une barre de chocolat.
Sommées de vous assagir, vous vous écroulez sur une couverture déroulée sur le sol faisant tapis. Comme il vous est difficile de stopper les rires et la furie qui se sont emparés de vous ! Vous vous bousculez, vus chatouillez et continuer à chahuter. C’est alors que cul par-dessus tête s’échappent de la poche de ton manteau les friandises dérobées le matin même. Des billes rouges, bleues, jaunes, vertes, violettes en cascade ou collées telles des mouches sur les rouleaux de zan se déversent sur la couverture. Le rouge te monte aux joues, ton père en colère te somme d’expliquer d’où vient cette profusion de bonbons. Il connaît la réponse mais te pousses à l’aveu honteux de ta supercherie.

Elisabeth
Le 4 novembre 1961, Jacqueline fête ses vingt-et-un ans. Sa majorité. Pour Françoise et moi, cela ne va pas changer grand-chose, étant donné qu’elle n’en fait qu’à sa tête. Pour notre mère, c’est peut-être la libération. Elle ne va plus être responsable de sa fille. Elle ne va plus avoir à assumer des engagements politiques auxquels elle ne comprend rien.
Le poids de l’éducation s’allège. L’ainée, est déjà majeure et mariée. Elle n’est plus sous sa coupe. De plus, c’est une telle perfection, elle n’a rien à craindre. Comme elle ferme les yeux sur la réalité et qu’elle vit sur ses préjugés, elle n’a pas de soucis. La cadette, c’est une autre histoire. Jamais dans les rails. Toujours à défendre des causes perdues depuis son adolescence. Quant à la benjamine, moi, en l’occurrence, elle espère que tout va bien au lycée. Elle déchantera parce que la benjamine est souvent dans la contestation des abus et des injustices.
Le 4 novembre 1961, ma mère veut fêter en grande pompe la majorité de sa fille. Les grands-parents sont invités, cela va de soi. Françoise et Jacques font le voyage Paris-Le havre. Voulant faire une surprise à ma sœur, ma mère invite quelques amis.
Le jour J, tout le monde est au fourneau à préparer multiples émulsions et décorations. Gâteaux salés, gâteux sucrés etc... La cuisine est une véritable ruche.
L’absence de Jacqueline facilite la tâche. Elle ne doit arriver qu’à vingt heures. Cela laisse du temps pour les préparatifs.
Cependant, Françoise et moi échangeons des regards anxieux. Sera t-elle là à vingt heures ?
L’appartement est petit. Le Havre sort à peine de ses cendres. Il faut tout débarrasser, laver, ranger pour dresser la table du repas. Nous n’avons pas de salle à manger. Une pièce fait office de salon, nous prendrons l’apéritif.
Les premiers invités arrivent. Vingt heures sonnent à l’église d’en face.Nous les accueillons. Nous installons les cadeaux dans un coin. Nous nous sommes amusés à lui offrir un gros paquet. En fait c’est un petit cadeau dans une boite qui est dans une boite, qui est dans une boite à la manière des matriochkas russes.
Tout le monde est là, sauf Jacqueline.
Vingt-et-une heure. Personne. Nous commençons à prendre l’apéritif. Vingt-deux heures. Nous passons à table.
En fait, nous fêtons les vingt-et-un ans de ma sœur sans elle.
Le 4 novembre, c’est proche du 17 octobre. Elle a été retenue
A la préfecture de police pour avoir soutenu la cause de la tristement célèbre manifestation pacifiste des Algériens, réprimée par le sanguinaire préfet Papon.

Sabine
Grain de sable
Voilà quelques années que je déambule sur le plateau de la Croix Rousse. Nous avions choisi ce quartier pour son charme, son âme, son passé trépident de tissage, de soyeux, de canuts. On l’appelait, je crois « la colline qui travaille ». Brassage de population : la vraie vie, quoi !
Je me souviens de ma voisine algérienne frappant timidement à ma porte apportant quelques gâteaux après l’Aîd, de mon boucher qui, la main levée tenait fermement mon beefsteak tout en refaisant le monde. Que dire aussi de ma coiffeuse qui entre deux coups de ciseaux me racontait les frasques de son mari et mon garagiste, que j’appelais « mon petit garagiste » me faisant mille recommandations avant chacun de mes départs pour la Lorraine tandis que sa femme à chaque printemps m’offrait un bouquet de tulipes de son jardin. Les enfants de l’immeuble, joyeuse bande dévalant les escaliers devenaient alors les miens. Atmosphère familiale, amitiés partagées. Je me sentais si bien dans ce quartier. Les jours gris prenaient de la couleur. Dans la rue, on se saluait, on se confiait, on s’écoutait, on s’entraidait.
Puis, c’est arrivé comme ça, insidieusement. Des bruits incessants de pelleteuse, de marteaux piqueurs, et un matin, en ouvrant mes volets, j’ai cru rêver en voyant une enseigne lumineuse clignoter sur une construction moderne et blafarde. Peu à peu, une vie nouvelle, des gens nouveaux ont remplacé l’existant. Plus de coiffeuse, mais un caviste recélant de vins précieux, plus de boucher, mais un magasin d’objets non identifiés, mon bazar, ma caverne d’Ali baba disparu pour faire place à une boutique de luxe.
Ce ne sont pas les rats qui ont envahi Paris, mais une foule de trottinettes fourmillant sur tous les trottoirs. Adultes et enfants, les rois du monde, se frayant un chemin à vive allure en serpentant entre les piétons.
Il faut être de son temps, me dira-t-on, mais surtout pas comme ça !

Myriam
LE GRAIN DE SABLE
C’est une jeune fille de bonne famille, son avenir est tout tracé. Pauline est la fille d’un boulanger aisé. Elle a reçu une bonne éducation à l’école des Soeurs. Elle est bien habillée car ses parents ne regardent pas à la dépense et elle a du goût. Son père la trouve la plus belle du monde et sa mère en est fière.
A 20 ans , c’est une belle plante grande et sportive. Elle aime faire du vélo avec ses amies et elle n’est pas la dernière dans les côtes ! Très gaie, ses plaisanteries font rire la compagnie. Peu pressée de trouver le mari idéal, elle a fait des études de sténo-dactylographie et obtenu son diplôme, Elle travaille dans une petite entreprise liée au textile : « L ’Encolage Bergusien 1 ». Un de ses soupirants a les faveurs de sa mère : c’est l’ héritier d’une grosse ferme. Tous les samedis, il vient la chercher avec sa moto pour l’emmener au cinéma. En réalité, elle ne l’aime pas, elle le trouve lourd et sans conversation , mais il la sort et cela la distrait de sa vie rangée.
Dans les bureaux de « L’Encollage » l’ambiance est gouailleuse. Le patron, un flambeur, roule Mercédès et entretient des maîtresses à Lyon. Les employés se vantent de leur succès féminins et le jeune comptable, habillé à la dernière mode des « Zazous », n’est pas le dernier à faire le joli cœur. Mais mademoiselle Vigne, avec ses chemisiers blancs frais repassés, ne fait pas partie des jeunes filles faciles.
A la boulangerie, les affaires ne vont pas bien, c’est l’après-guerre, la boutique a vieilli et le père Vigne est fatigué, il ne supporte plus la farine. Jean, son fils aîné, beau garçon plutôt artiste, n’a aucun goût pour la « boulange » et le dernier est trop jeune pour prendre la succession de son père. Le boulanger Vigne décide de vendre et d’aller travailler à l’usine « J’aurais le salaire à la fin du mois sans passer mes nuits au fournil ! » se dit-il. Mais il doit vendre sa voiture et un jour en allant au travail en vélo, il fait une chute , se retrouve dans le coma. A son réveil, il n’a plus aucun ressort. Jean est appelé au service militaire et tombe malade, les médecins diagnostiquent une leucémie. On l’hospitalise à Desgenettes à Lyon. L’ancienne boulangère fait des ménages pour pourvoir aux besoins de la famille.
Privée du soutien de son père et de son frère, la jeune dactylo, prête une oreille plus attentive à ce comptable qui lui fait la cour depuis plusieurs mois. Elle tombe amoureuse, et devant ses instances pressantes, se donne à lui. Mais peu de temps après, il se marie avec la jeune femme qui a soigné son père, gravement malade. Ce mariage était arrangé d’avance, mais dans sa naïveté la jeune employée pensait qu’il ne se ferait pas, puisqu’il l’aimait ! Elle se retrouve seule et de plus enceinte ! Elle a beau sauter des escaliers, prendre des risques à vélo, le « grain de vie » est bien accroché.
Finis les rêves d’un beau mariage de sa mère ! finie la robe blanche ! Elle est désormais « fille-mère » et sa honte va bientôt apparaître aux yeux de tous et éclabousser sa famille.
Arrive l’été et les vacances à l’entreprise. La jeune femme, révoltée et prise d’un profond désir d’échapper à cette situation, déclare à sa mère qu’elle part en vacances à vélo. Seule, elle accomplira un périple de cinq cent kilomètres par les Alpes pour aller voir la méditerranée. Dormant à l’auberge et parfois dans une grange, avec son vélo bien caché, elle réalise un rêve. Dans les côtes, elle s’accroche aux camions, à cette époque les chauffeurs, laissent faire. A la descente, elle les remercie d’un geste. Enfin voilà Nice, la fleurie et sa plage de galets, but de son voyage ! Enfin, elle peut se plonger dans la mer !
Au retour, elle cherche une solution. Dans un magazine catholique, elle tombe sur une annonce qui propose à des jeunes mères non-mariées de suivre une formation de dactylo. Cachant qu’elle a déjà un CAP, elle pose sa candidature. Bientôt, elle prend le train en direction de Bordeaux, destination le château de Langon où les jeunes femmes sont regroupées.

Marylène
Depuis longtemps elle pensait : "j’aimerais écrire comme une chanson", les chansons ont des paroles, une musique, un rythme. "J’aimerais que cette chanson continue sans fin", qu’elle se déroule comme une bobine de fil, que le fil ne se coupe jamais, qu’il continue à se déployer à chaque coup de patte d’un chat qui s’amuserait à voir la bobine rouler et rebondir.

Dans le silence du soir, quand l’immeuble se tait, quand la famille, les amis ont dit bonsoir, elle attend son heure. Bientôt les mots en silence remplissent l’espace, ils se bousculent, se choquent, crépitent comme le feu, ils s’agitent comme des malheureux car ce sont les premiers qui comptent, qui joueront le beau rôle.
Sous les doigts alertes, la page blanche se gorge de mots. Ils entrent par une porte invisible, virevoltent, colorés comme des enfants, ils dansent légers et bondissants, ils ont la vie en eux, ils s’appliquent à ne pas rester en place, font une chorégraphie joyeuse, se placent et se déplacent, en ordre ou en désordre, à la queue leu leu, retour à la ligne, espace, virgule, premier alinéas, et les suivants, un, deux trois, un paragraphe, sauter une ligne, enjamber, retourner d’où on vient, se placer, se remplacer, se déplacer, recommencer, et puis soudain ils tombent, tombent de sommeil, les uns sur les autre ils font un gros tas, las, ils ne se relèvent plus, restent figés.
Sur la page lisse ils font une tache grise, informe et molle et ils s’endorment. Les mots, les petits comme les gros, les lourds comme les faibles, les propres comme les sales, les scandaleux, les doux, les verts, les cinglants et les cinglés, les beaux et les vulgaires, tous, couchés serrés.

Le matin ou en pleine nuit, pour cause d’insomnie, elle retrouve les mots sur la page abandonnée. Ses mains reprennent l’affaire, démêlent l’écheveau, lettres et signes enchevêtrés. Elle dénoue et rassemble, aligne et redresse, cherche et retrouve le sens. Il ne faut pas mollir quand jaillissent les images, quand des mots encore et encore se pressent, mais sait-elle où ils l’emmèneront plus loin ? Une impasse ? Un labyrinthe ? Où est le fil ?
Il fait encore sombre, dans la chambre, le ciel n’a pas éteint les dernières étoiles, elle tend l’oreille, quelques bruissements lointains se font entendre, des voitures matinales transportent des passagers invisibles dans des destinations inconnues d’elle, mais où vont-ils si pressés, si tôt le matin ? Que font ces gens qui, comme elle, ne dorment plus ? Elle n’a ni envie de sortir, ni d’affronter le froid, ni de se lever. Dans son lit, trois coussins dans le dos, un édredon pardessus la couette, une lumière douce si proche qu’elle lui tient un peu plus chaud encore et l’accompagne dans ses pérégrinations nocturnes. Elle somnole, est-t-elle vraiment lucide ?

Soudain, sur l’écran lumineux, un petit symbole accrocheur montre sa tête rectangulaire barré d’un mince filet rouge puis, en surimpression au milieu de la page, la menace : "batterie faible".

Il va falloir se réveiller vraiment, se lever, chercher le cordon magique dans le fouillis des cordons inutiles et, si la malheureuse mémoire s’éteint faute de jus, jus d’orange, jus de chaussette, bref de stimulations rapides et efficaces, retrouvera-t-elle l’inspiration avant la coupure définitive ?
Il faudra attendre que la page grisonnante, se rallume et reprenne de l’exercice.

Maintenant elle est vraiment réveillée, quelle heure est-il ? L’absence de la voix du muezzin hurlant dans son haut parleur grésillant et la réveillant tous les matins depuis trois semaines, ne lui donnant plus d’indice satisfaisant, elle se satisfait du silence actuel et voit bientôt de grands paysages désertiques s’imprimer sous ses yeux ensommeillés. Elle réfléchit profondément avant de se rendormir laissant la page à demi remplie se recharger de bonnes énergies salvatrices.
Dans son rêve des contrées arides et rouges, roche, terre et sable confondus, continuent à défiler depuis le perchoir d’un mini-bus blanc, pas si mini que cela, seize places assises tout de même, le chauffeur compris. Elle se balance au rythme du véhicule et des kilomètres absorbés, Meknès, Rabat, Casablanca, El Jadida la portugaise, arrêt bienvenu, Safi, Essaouira, Marrakech la rouge, son golf, ses jardins, la villa Majorelle, direction le désert Ouarzazate la cinéphile, un film en continu, c’est long, très long depuis l’océan. Il faut monter, passer une vallée, un col, une deuxième vallée aussi creuse et aride que la précédente, deuxième col, le Tichka 2260m, arrêt enfin, pour un point de vue déprimé de creux et de bosses toutes aussi sèches que rouges, imaginer l’eau, des quantités d’eau qui ont dû couler pour creuser tous ces ravins de cailloux chamboulés. Ici la route en lacets impeccables, bordés de lignes blanches, subitement, un chantier en grande activité, poussière et secousses en cascades, plus loin un chantier gigantesque, à l’arrêt complet. Engins jaunes, oranges tous sagement alignés sur une plateforme, attendent en silence. Le décès du chef de l’entreprise en serait-il la cause ? La route ne s’arrête pas de zigzaguer pour autant, elle va son chemin tout comme les passagers effarés et, avec elle, grâce à elle, ils arrivent au bout de ce monde de roche, là où commencent le désert, le vrai, les dunes, les dromadaires, le sable.
Ici commence la longue marche à pied vers un horizon de montagnes qui s’éloignent toujours.

Quand le soleil dans la chambre sera revenu, elle aura fini d’écrire et, immanquablement, elle pensera "avec ou sans grain de sable tout aurait pu être (écrit) autrement ".
Regardant les montagnes au loin, elle boira son thé à la menthe en pensant aux mots qui s’arrêteront là.


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