Les dix mots de la francophonie 2016. Les dix mots de la francophonie 2016.

mardi 22 mars 2016 par Elisabeth

Comme chaque année pendant la semaine de la francophonie, nous écrivons autour des des dix mots sélectionnés.
Cette année, ils ont été choisis parmi des expressions de pays francophones :
Chafouin (Fr), champagne (Congo), dépanneur (Quebec),dracher (Belgique), fada (Fr), lumerotte (Belgique), poudrerie (Quebec),ristrette (Suisse),vigousse (Suisse), taptap (Haïti).
La consigne : Ecrire un texte, en employant ces dix mots ou presque et en faisant comprendre leur origine.

Jacqueline

Où est la terre d’élection de la francophonie à l’étranger, si ce n’est au Québec ? Cette scénette a pour cadre la paroisse de Notre Dame des Lacs, au fin fond de la province québécoise. Deux amies, Eloïse et Marie, s’apprêtent à partir faire leurs courses en ville.
-  Tabernouche ! Eloïse, hoolàlàlà, viens t’en voir la poudrerie ! Coudonc, comment qu’on va faire pour aller chez le dépanneur ?
-  Envoye, Marie, t’es ben fine, on trouvera toujours une solution ! Pis tiens, prends donc une p’tite shot, en attendant que ça se calme !

Les deux amies s’installent pour siroter leur ristrette tout en devisant gaiment. La lumerotte répand une faible lueur sur leurs visages chafouins. Dehors la neige s’est arrêtée mais il commence à dracher en abondance.

-  Oh mon Dieu, on peut pas mettre le nez dehors encor’ à c’t’heure, …oh mais que c’est qu’y s’passe, mon Eloïse ?

La porte s’ouvre brutalement et Gaëtan, le fada du village, déboule dans la pièce.
-  C’est qui ce grand niaiseux ? Ben là, Gaëtan, tu veux tu ben vite fermer qu’on se gèle icitte !
-  Howowo ! s’exclame Gaëtan, s’ébrouant comme un jeune chien fou et secouant son manteau trempé sur Marie et sa chum, qui se mettent à pousser des cris.
Au village, on l’aime ben Gaëtan. Il est un peu épais mais vigousse et rend tellement de services de ci de là.
-  Viens donc icitte t’mettre au chaud proche du poêle. Chuis ben contente de t’voir mon gars.
Tu veux-tu nous mener ce tantôt, Marie et moi, chez le dépanneur avec ton char ?
-  J’ai pas d’char, Marie, t’sais ben, pas pantoute.
-  Qu’est ce que tu me niaises là, grand fou, et c’te camionnette là, c’est pas un char ?
-  C’est correct ! Mais mon tonton haïtien, il l’appelait un tap tap !
-  Hi, hi, hi ! elle est ben fine, celle là ! Allez, va, char ou tap tap, ça roule non ? Alors à la tienne hein mon champagne et en route , tabernouche !

Myriam

Un auvergnat chafouin se trouva fort dépourvu
quand la poudrerie québécoise fut venue,
Il alla au Congo trouver son riche compère
le Champagne, le priant de lui trouver quelque dépanneur au pays des canneberges,
lui dépeignant que pour faire les livraisons ,
ce serait parfait avec un Tap Tap venant d’ Haïti.
Ainsi équipé, qu’il pleuve ou qu’il drache en Belgique,
rien ne pourrait l’empêcher de vendre ses ristrette suisses aux gens frigorifiés.
Ainsi, il passerait l’hiver et sa faible lumerotte,
car chacun sait que la lumière est plus faible au bord du lac St Jean
que sur la grand Place à Bruxelles.
Le Champagne, loin d’être fada comme le ravi provençal,
se dit que le chafouin sous ces latitudes fraîches
resterait vigousse comme un chamois suisse
et lui rembourserait intérêt et principal à la prochaine francophonie.

Marie France

Il drachait fort sur Bruxelles ce soir là. Du haut de son perchoir, le Manneken pis en dégoulinait de partout.
Marius, ce fada, arrivait de Marseille pour un boulot qu’un copain de régiment lui avait proposé. Deux ans déjà qu’il avait été licencié des chantiers navals de la Ciotat et l’inactivité lui pesait vraiment.
Dans sa dernière lettre, Raymond lui parlait de son idée : ouvrir une épicerie 24h sur 24. « Tu vois le genre ? » lui avait-il écrit. Une espèce de dépanneur, comme à Montréal, mais il faut qu’on soit deux. Oublie la Ciotat et rejoins-moi. Je suis sûr que ça va marcher ».
La drache était de plus en plus drue et il faisait de plus en plus froid. Le vent s’était levé. Marius regrettait déjà le climat méditerranéen. Sur la petite place, près de la gare, il remarqua le paysage luxuriant peint sur la carrosserie du tap tap qui l’attendait, tous feux allumés, Raymond au volant . Déjà, à l’armée, Raymond en imposait par sa taille, sa force, son énergie et sa vigueur. Vigousse et chafoin : deux adjectifs qui lui allaient parfaitement bien. Il avait roulé sa bosse un peu partout, n’avait peur de rien, et savait se débrouiller sans avoir recours aux autres, sans piston, sans champagne. A côté de lui, Marius, malgré son bagout coloré se sentait un peu éteint, tout juste une lamperotte.
A l’intérieur du tap tap, Raymond s’en grillait une.
« J’avais peur que tu changes d’avis » dit-il à Marius quand celui-ci s’assit sur le siège passager dans une ambiance très enfumée.
« ça caille, hein ? Si le vent reste au Nord, ça va tourner en poudrerie. Allez, je t’emmène chez Rosa, elle va nous faire son fameux ristrette qui réveille les morts et on va causer tous les deux. »

Elisabeth

"Il drache sur Bruxelles
Comme il drache sur mon coeur"
Pauvre Verlaine !
Traversant la Belgique, je transposais ces vers. Il pleuvait. Par endroits, il neigeait. De la poudrerie, comme l’appelait Charlebois. Le vent soufflait.
Dans la lumerotte d’un réverbère, nous aperçûmes un renard. Il Hésitait. Où aller ? A droite ? A gauche ? la voiture avançait sans l’effrayer.
- "Pas trop vigousse" dit calmement le petit Suisse qui nous accompagnait.
Le renard finit par se jeter dans le fossé, à gauche.
- "ça f’rait une belle toque. Et si on essayait de l’attraper" dit Charlebois.
- " t’es fada ! T’as vu l’temps ? On va pas se mouiller pour un chafouin qui va détaler aussitôt" dit le Marseillais.
Nous continuâmes à rouler. La visibilité se réduisait de plus en plus.
- "On n’y voit rien" dit le Congolais.
- " Si tabernak y a un dépanneur-dit Charlebois-on va passer d’vant sans l’voir. J’ai l’estomac dans les talons."
- "je boirais bien un ristrtte" dit le petit Suisse.
Soudain, tout le monde s’écria : "une lumière et pas une lumerotte, c’est une maison !
- C’est peut-être un dépanneur. Insista Charlebois.
Nous arrêtâmes le taptap que j’avais acheté à un Haïtien lors de mon dernier voyage. Ses couleurs vives mettaient du soleil dans la grisaille de la pluie, de la drache pour parler local.
Nous sortîmes du véhicule : Le marseillais, le Congolais, le petit Suisse, Charlebois, le Belge qui nous servait de guide et moi-même.
En fait, c’était une épicerie-bar de campagne.
- "Y a du monde dans ce capharnaüm mais ça m’étonnerait que ce soit du champagne" dit le Congolais.
- " Du champagne ? Non. mais du pastis sûrement" répondit le Marseillais.
En riant aux éclat, le Congolais expliqua que chez eux, la champagne, c’était du beau monde.
- "En France, on dit du bau linge" ajoutai-je
nous entrâmes ruisselants dans le café. Tous nous regardèrent.
Nous étions nombreux mais du premier coup d’oeil, on pouvait voir que nous n’étions pas Belges.
Le Congolais, évident. Charlebois portait une chapka, la marseillais, une casquette Paul Ricard jaune et verte, le petit suisse était si guindé dans son costume trois pièces que le guide et moi, passâmes inaperçus.
Nous nous assîmes et commandâmes des pistolets, des frites et des jupiler. Seul, le petit Suisse commanda son ristrette.

Marilène

Monsieur mon voisin partait tôt le matin,
mallette noire,
chapeau noir,
écharpe tout aussi noire, nouée serrée,
air chafouin, pas bien réveillé.
Il ne prenait pas l’ascenseur habitant au premier.
Anicet, venant tout droit d’Afrique de l’ouest ou du Congo,mais aussi du 6° étage,
dévalant en courant la cage d’escalier, le rattrapait régulièrement devant la porte d’entrée
et, très champagne, sourire étincelant aux lèvres, lui tenait souvent la lourde porte en faisant semblant de se moquer de lui avec bonne humeur et malice.
Le guignole du dessus appuya longuement sur le bouton d’ascenseur avant de constater en jurant haut et fort : " vient pas ce con ! "... "té, y’a encore le sournois qu’est dedans ! "
Alors que la cabine était déjà là, éclairée de l’intérieur !
"T’as pas vu la lumerotte ? "
Hurla, affligée la grande blonde à son Fada de mari.
Elle était originaire de Gand et passait derrière la porte, tous les matins, le bout de sa tignasse blondasse et échevelée en essayant de ne pas renverser son ristrette bouillant sur ses chaussons en mousse et fourrure rose décorées d’une jolie tour de Pise, détails et manières qui m’avaient mise sur la piste de l’Italie qu’elle adorait tout comme ses gelati en été et les airs d’opéra claironnés toute l’année.
Aussitôt la porte du palier prestement et bruyamment claquée,
"Arrivederchi ! Il n’a pas pris son parapluie ! Il drache encore ce matin, il va arriver trempé comme une soupe ! "
Elle ne le plaignait pas car il aimait le froid et la neige lui qui venait du Québec, et là-bas c’est sûr qu’il en avait vraiment souffert de la poudrerie et du froid de canard pendant 6 mois par an mais il était résistant comme un roc !
Et moi qui suis un peu Suisse du côté de la cuisse du cheval de mon grand père, j’avais envie de rajouter qu’il était bien vigousse le pépère !
C’est alors que je réalisai que je n’avais pas encore pris mon petit noir, et pour cause je n’avais plus de café ! Je m’habillai en hâte pour filer au dépanneur du coin de la rue faire le plein de ces petites graines savoureuses qui me faisaient défaut pour l’heure et dont je ne pouvais me passer pour commencer ma journée de farniente sous la couette.
Après ces prémisses matinaux je partis rejoindre mon livre préféré avec Dany Laferrière sur la couverture duquel un tap tap, flamboyant attirait mon attention et mon envie de voyage horizontal.



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