Chandeleur et mots charmants. Myriam. Chandeleur et mots charmants. Myriam.

lundi 27 février 2017 par Elisabeth

La chandeleur et les bugnes
Que dire ? La chandeleur de mon enfance, ma mère mettant au feu ses trois poêles pour les bouches avides que nous étions, le grand saladier de pâte, l’abondance des confitures faites maison. On avait voulu aider à faire la pâte, mais naturellement, il s’était formé des grumeaux que maman écrasait avec dextérité contre le bord du saladier.
-  Maman, fais sauter les crêpes !
Elle refusait d’abord pour le principe puis d’un geste sec du poignet retournait la crêpe. On voulait essayer, mais la crêpe tombait par terre ou sur le bord de la poêle et se cassait. On demandait encore un essai mais maman nous reprenait d’autorité la poêle et se concentrait sur ses trois feux, huiler, verser la pâte, attention cette crêpe se met à fumer, il faut la retourner ! Les crêpes s’empilaient sur l’assiette et nous en mangions jusqu’ à plus faim.
Mais je ne me souviens pas qu’on ait fait sauter une crêpe avec une pièce de la main gauche pour avoir la fortune toute l’année, chez moi, on n’y croyait pas.
La confection des « bugnes » pour mardi gras, était une toute autre entreprise. Il fallait d’abord préparer une pâte à la levure de boulanger, la pétrir, la taper. Je me souviens encore des coups vigoureux de la pâte lancée à toute volée sur la table de la cuisine : ma mère avait vu son père pétrir, et elle n’y allait pas de main morte ! Il fallait ensuite laisser reposer la pâte puis l’étaler finement et la découper avec une roulette en bois crantée qui donnait aux bugnes leur bord dentelé. Parfois on y faisait une fente et on formait un nœud. Ma mère appelait souvent mon père à la rescousse pour ce travail délicat. Pendant ce temps la bassine chauffait et on plongeait ces merveilles dans l’huile bouillante. C’était alors magique : des bulles se formaient qui gonflaient et prenaient une jolie couleur dorée, tandis qu’une odeur délicieuse de fleur d’oranger s’exhalait. Les bugnes étaient récupérées avec une écumoire, saupoudrées de sucre glace et installées sur de grands plats en inox où elles s’accumulaient en monceaux. C’était léger, croustillant, parfumé. La « bugne » est une spécialité lyonnaise et les lourds beignets de mardi gras et autres « merveilles » n’ont rien de comparable, bien sûr celles de ma mère sont les meilleures de toutes.

En tant qu’enseignante j’ai dû corriger les fautes de français de mes élèves, en tant que parent j’ai du corriger celles des enfants, et pourtant, il y a des mots si charmants.
J’adorais quand mon fils me disait : « Maman ! je suis véreillé » je n’avais pas du tout envie de rectifier. Tous les enfants se réjouissent d’aller au « pestacle » et nous avec eux !
Quand ma sœur était petite, elle zozotait. Un été, nous sommes allés en vacances en Alsace, et elle a fait connaissance avec de petits alsaciens. Voilà un exemple d’une conversation enfantine :
-  Tu veux jouer à un zeu ? demande ma sœur.
-  J’aime bien les cheux, j’ai beaucoup de cheux à la maison.
-  C’est pas un cheu, c’est un zeu !
-  Non, pas un zeu, un cheu !
Enseignant aux jeunes étrangers, je n’aimais pas les interrompre pour les corriger. J’aimais leur expression : les Maghrébins avec leur accent particulier, les Asiatiques qui parlent sans prépositions, les Portugais avec leurs Lusophonies, les Africains avec leur belle langue française du temps de la colonisation. Les Bulgares qui disent oui en promenant la tête de gauche à droite et noni en levant le menton. J’ai même surpris un interprète Sri-lankais dodeliner de la tête pour communiquer avec une famille.
Maintenant encore, je n’ai pas toujours l’envie de corriger mes amis roms : Quand Emanuela déclare au cours d’un rendez-vous que ses papiers sont « chez elle » pour dire qu’ils sont dans son sac, je lui fais signe de les sortir avant que l’assistante sociale ne lui dise de les apporter la prochaine fois. Mais « dans son sac » pour elle qui n’a pas de logis, n’est-ce pas un peu chez elle ?



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