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La page blanche.
lundi 18 janvier 2016 par
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Proposition d’écriture.
" Son métier, c’est d’écrire des livres. (…) Depuis plus de six mois, il n’a pas réussi à aligner vingt lignes. Chaque jour, il commence une histoire, s’enflamme, griffonne une page, puis il s’arrête, relit et finalement arrache la page et la jette à la corbeille.
(R. Judenne)
Il regarde par la fenêtre ; soudain, il assiste à une scène, source d’inspiration.
Mary
Page blanche, vide glacial, plongée dans le désert des mots. Échapper à l’angoisse qui enfle et l’envahit. L’auteur prend une large inspiration et s’évade par la fenêtre ouverte sur la rue.
Le clic-clac de talons sur le pavé aiguise sa curiosité en berne. Une jeune femme, seule, perchée sur des escarpins enjambe les pavés comme un échassier avançant sur un sol marécageux La jambe, gainée de bas noirs, est longue et fine, une jupe étroite réduit l’amplitude de ses pas. Le pied glisse vers l’avant et laisse une béance à l’arrière de la chaussure trop grande pour son pied gracile. Chaque pas est compté. Où le poser ? Comment le déployer ? L’exercice se répète sans jamais trouver l’assurance nécessaire pour que la marche paraisse assurée et élégante. Telle une marionnette désarticulée, les jambes se tordent et se plient. Quand elle aborde enfin la partie médiane de la chaussée, là où les dalles sont larges et lisses, le pas reprend de l’amplitude et la femme accélère, retrouvant le sens inné de la marche.
Il ne voit pas son visage, une opulente toison dorée éclaire sa silhouette diaphane. Où va-t-elle ? Vers quel rendez-vous se dirige-t-elle ? Elle ne manifeste pas d’empressement, seulement une hésitation, une forme d’errance.
Il enfile en vitesse une veste et se précipite dans l’escalier pour voler à la suite de cette passante auréolée du mystère de l’anonymat. Au sortir de l’allée, ses yeux cherchent en vain l’ombre de son héroïne qui a disparu à l’angle de la rue.
Jacqueline
Ce jour-là, comme tous les jours depuis six mois, Andy se met à sa table et commence une histoire, griffonne une page puis il s’arrête, relit et finalement arrache la page et la jette dans la corbeille puis il se lève et va à la fenêtre. Le petit square en bas de l’immeuble est désert, les maigres arbustes sont tout dépouillés et, pour couronner le tout, la pluie s’est mise à tomber. Pas question de sortir dehors par un temps pareil !
Andy traîne ses charentaises jusque dans la cuisine, un vrai capharnaüm, prend une tasse sale, la rince et se prépare un thé. Il porte la tasse à ses lèvres et sourit amèrement en pensant à Proust et sa petite madeleine. Tout un univers dans une tasse de thé ! Pas de risque qu’une telle expérience lui arrive ! Le thé, avec ou sans madeleine, a le goût insipide du thé et aucun souvenir ne remonte à la surface !
Il pense qu’il est un écrivain fini, saisit machinalement son smartphone, surfe sur sa messagerie (aucun mail intéressant), son agenda (pas de rendez-vous en perspective), la météo (pluie de 11h à 17h). De guerre lasse, il décide de faire une réussite : ça lui occupera l’esprit et, pendant ce temps, il ne pensera plus à sa feuille blanche. Il effleure du doigt l’icône « Solitaire » représentant un jeu de cartes et clique sur « New Game ». Les cartes défilent rapidement et se mettent en place toutes seules pour former le jeu. Tiens, un as, se dit-il. C’est un début prometteur. Il range l’as et s’apprête à retourner la première carte de la pioche quand soudain l’écran se brouille et les cartes disparaissent. Il fulmine contre ces pubs qui vampirisent tous les programmes gratuits et fait un retour arrière pour en sortir. Mais il a beau titiller la flèche « retour », rien ne se passe ; l’appareil ne semble plus répondre.
C’est à ce moment qu’il sent le portable vibrer. Un appel ? Vite, il regarde pour voir le nom du correspondant et découvre avec stupéfaction son propre visage sur l’écran. Celui-ci le regarde en souriant et commence à lui parler :
- Ben, Andy, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’as rien à de mieux à faire que des réussites sur ton smartphone ?
- Mais enfin, qui êtes-vous, comment avez-vous pu pénétrer dans mon smartphone ?
- Voyons Andy, tu ne me reconnais pas ? Je suis toi, quand tu étais encore plein d’enthousiasme et d’ambition.
- C’est quoi, cette histoire, qu’est-ce que tu me veux, tu vas m’aider peut-être ?
- Eh oui, mon vieux ! Au lieu d’écrire ces scénarios débiles pour la télé, tu pourrais peut-être changer de genre ?
- Tu sais bien que je ne sais rien faire d’autre… et, en plus, je n’y arrive même plus !
- Il me semble que tu t’intéressais à la science et même à la science-fiction, dans le temps. Tu avais même commencé un roman qui s’annonçait pas mal. Pourquoi ne le reprendrais-tu pas ?
- ???
Et c’est ainsi qu’Andy a repris la plume ou plutôt le clavier d’ordinateur. Il vient de faire paraître un roman « Seul sur Mars » dont le succès l’a étonné lui-même et qui a inspiré le film événement, actuellement sur nos écrans…
Dominique
Mon écriture n’avançait pas, que dis-je, elle était au point mort. La dérision m’envahissait : quoi, avoir pour métier d’écrire des livres et se retrouver sans aucune inspiration depuis deux jours ! Rien sur le papier, rien dans la tête qui puisse me titiller, me mettre sur la voie, m’interpeller…..Quelle déception !
Je tournais, l’esprit creux et presque désespéré dans l’appartement.
Or le temps était exceptionnellement doux pour un mois de mars ; je décidai d’aller faire quelques pas en bas de chez moi, dans le jardin de la copropriété ; je goûtais très rapidement à l’ambiance de cette fin d’hiver : marcher me ferait certainement du bien.
Une jeune fille, plusieurs magazines sur les genoux, en feuilletait négligemment les pages ; elle levait souvent les yeux, comme si elle attendait quelqu’un. Je remarquais son visage poupin, heureux et souriant. Elle me faisait penser à ma propre fille.
Je continuais à marcher, jetant de temps en temps un coup d’œil à la jeune fille ; j’étais somme toute un peu à l’affût de ce qu’elle attendait. Je me gendarmais néanmoins afin de rester le plus discret possible ; j’imaginais déjà qu’un amoureux allait apparaître dans son champ visuel et qu’elle se lèverait d’un coup ; je la voyais déjà, un éclair de joie dans les yeux ; je ne voulais pas rater cela : quelque chose allait se passer, j’en étais sûr et ce quelque chose ranimerait sans doute en moi des sensations, l’inspiration !
Un quart d’heure passa ; rien n’arrivait et pourtant la jeune fille était toujours aux aguets ; je m’assis moi aussi, dans un état de curiosité que mon imagination n’avait fait qu’augmenter. Mes pensées allaient vite, très vite ; elles vagabondaient sur un air d’ « happy end ». Mon cœur battait plus vite.
Soudain, de loin, je vis arriver une personne en fauteuil électrique, se dirigeant vers la jeune fille ; celle-ci se leva, se dirigea très rapidement à sa rencontre et l’embrassa avec beaucoup d’affection. Je reconnus alors l’un de mes voisins, dont le handicap léger s’était transformé en problème majeur. Et c’est à distance que je contemplais grand-père et petite-fille se retrouver : une scène heureuse mais qui mettait fin au conte de fée que j’avais imaginé, au profit d’une histoire beaucoup plus réelle et moins idyllique. La surprise passée, je me dis que j’avais là le début de quelque chose : le cadre était dressé, à moi la joie de creuser la psychologie des deux personnages, les liens qui les unissaient et leurs projets communs… En remontant dans mon appartement, je me frottais les mains de contentement : çà y était, je l’avais mon sujet !
Marie Noëlle
Les photos sont scannées, le dernier témoignage a été recueilli et retranscrit à la main. Le précieux petit carnet arrive au bout de son histoire. C’est comme si Aline avait commencé une autre vie, trente trois ans après son départ.
Je suis lasse mais aussi apaisée par ces échanges, ces souvenirs, les émotions de chacun trop longtemps contenus.
Je voudrais rédiger une introduction ou une conclusion mais rien ne vient. Que rajouter qui ne soit maladroit, emphatique, empreint de sensiblerie ?
Je regarde par la fenêtre. Les arbres sont dénudés et la nature est en sommeil. Dans le reflet de la vitre, je distingue des photos de la jeunesse de ma sœur, mémoires de moments heureux où elle était entourée, dynamique, accueillante.
Sur celle-ci, en noir et blanc, ils sont quatre adolescents des années cinquante. Ils s’apprêtent à parcourir en vélo les chemins de Parcieux. On les a photographiés devant le beau portail de Louis Mazuir, le compagnon de jeux d’Aline. Ils sont plus vieux que moi de huit ans. « J’peux venir avec vous ? ». « Non, non, reste avec maman, dit Aline ». Ils ne veulent pas s’encombrer d’un « mioche »
Et, déçue, je les vois filer, les filles la jupe au vent. Aline, la plus vive, a pris la tête de la course.
Je regarde par la fenêtre ; deux vélos sont garés dans mon abri à bois. Qui attendent-ils ?
Je regarde par la fenêtre mais je n’y vois que le reflet d’une autre photo du temps passé. Celle-là est en couleur. Une bande de jeunes fous sourit au photographe. C’est le matin : ils sortent de leurs tentes canadiennes, ravis. Détail insolite : leurs tentes sont plantées dans la neige. Aline est dans son élément : nul trouble dans son regard, nulle trace d’insomnie. Un moment de paix et de bonheur.
Je regarde par la fenêtre et je rêve. Son sac de randonnée, sa corde, son piolet, ses crampons, où sont-ils maintenant ?
Je regarde par la fenêtre et je pleure. La neige est tombée.
Madeleine
Son métier c’est d’écrire des livres...depuis plus de six mois, il n’a pas réussi à retrouver l’inspiration qui l’avait habité depuis ses débuts en écriture, la page blanche ! Un flou blanc et noir, brouillard gris, opaque, la vision qui se trouble, le trouble.
Il reste enfermé dans sa chambre entre son lit et sa table, entre la porte et la fenêtre. Il passe de l’une à l’autre, aller, retour, pas lent, désespérés, il s’oblige à ne pas sortir, le travail de la pensée est intérieur, il doit rester dans cette chambre pour avoir quelque chance de s’en sortir par le haut, la création, son œuvre !
Insensiblement ses pas le mènent à la fenêtre, il s’en approche, hypnotisé par le blanc lumineux de l’hiver, se penche, sent le froid du dehors l’aspirer, du dix-huitième étage du vieil immeuble, au dessus de la Charles River, la baie de Boston s’ouvre comme une bouche avide. Lentement, avec application, il colle le front contre le carreau glacé et, soudain il reçoit une décharge, hurlement d’une sirène de bateau et le creux du ciel qui, en un instant, se remplit d’une nuées de points noirs, venus de loin ils sont aspirés vers le haut, puis subitement propulsés vers la ville, d’est en ouest, aller, retour, ballet gigantesque et fougueux, les points indéfinissables se précisent, gris et blancs, becs courbes pointant comme des flèches. Le nuage compact se plaque au sol violemment puis rebondit, oblique au zénith, les oiseaux dans leur fureur vont s’abattre sur les tours d’habitations voisines, mais au dernier instant le ruban ailé bifurque brusquement droit sur la fenêtre de sa chambre, cinglant la vitre au raz de ses yeux...Bruit mat, tremblement du verre. Il se jette en arrière c’est alors que lui revient en mémoire un séjour en Écosse, les îles du nord-ouest, la mer grise enserrant des lambeaux de terre, l’écume accrochée aux rochers déchiquetés, les falaises vertigineuses et les grands oiseaux blancs et noirs, fébriles et menaçants, les fous de Bassan, êtres d’ailes et de plumes sans âme, objets d’horreur et de beauté ; il su que son récit commencerait là bas sur fond d’étendues infinies et profondeurs glauques et qu’il conclurait ici dans la ville aux façades dressées de briques brunes et grises et au ciel blanc car il n’était pas près d’oublier, la folie et la beauté des oiseaux et le vertige du haut des falaises, où le regard allait s’écraser dans la mer déchaînée. Il savait que dans son histoire il devait faire revivre ces lieux autrefois habités par quelques poignées d’hommes faisant la chasse aux oiseaux.
Elisabeth
Comme d’habitude, Yves se lève la tête vide. Pas l’ombre d’une inspiration !
Petit café d’encouragement.
Sylvestre, le chat le regarde pensif, il voit que ça ne va pas bien ce matin. Il miaule doucement mais son chant n’est pas celui d’Orphée. « Mon pauvre Sylvestre ! Qu’allons nous devenir ? Se lamente son maitre.
Sa tasse à la main, Yves fait le tour du salon. Aucun objet ne suscite en lui l’envie d’écrire. Il pourrait faire un voyage autour de la pièce comme d’autres l’ont fait mais tout ce fouillis, la vaisselle qui traine, le cendrier pas vidé, des livres partout, en piles, étalés en éventail, des journaux , la poubelle qui déborde d’ébauches.. .N’invitent pas au voyage.
Yves s’approche de la fenêtre. Il pleut. Un vieux monsieur ne parvient pas à ouvrir son parapluie. Il jure. Une dame dans la cinquantaine, l’apostrophe. Apparemment, elle lui reproche plus ses jurons qu’elle ne l’aide à ouvrir ce maudit parapluie bloqué alors que la pluie redouble de force. Le ton monte également entre eux. Ils font de grands gestes menaçants. Tout le monde court autour d’eux, chacun est pressé de se mettre à l’abri, sauf eux, qui restent là à se lancer des noms d’oiseaux à la figure. Le vieux monsieur est ruisselant, les rebords du chapeau de la dame forment une gouttière.
De loin, on pourrait croire que l’homme brandit son parapluie fermé comme une épée, Yves comprend qu’il montre une direction, celle du café devant lequel ils se querellent depuis un quart d’heure. Ils y entrent et l’écrivain ne peut plus suivre la scène.
Il se met à son bureau. Ça pourrait être un début. Deux personnes d’un âge certain, se rencontrent s’insultent, s’expliquent et finissent leurs jours ensemble. Les enfants ne voient pas d’un bon œil cette union. Classique ! Il faudrait un crime pour le suspens. Un des enfants est particulièrement intéressé mais un autre ne cache t-il pas son jeu ? Trop Agatha !
Je pourrais faire dans le drame, l’un des deux serait atteint d’une maladie incurable.
Des retrouvailles vingt ans après et cette scène de reproches parce qu’elle l’a attendu pendant toutes ces années. Pourquoi pas ? Je ferai des descriptions métaphoriques de leur vieillissement. Ça me plait. Je vais y réfléchir.
La pluie a cessé. Yves sort prendre l’air. Il marche en réfléchissant à son histoire. Il n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles. Sur le trottoir d’en face, le vieux monsieur donne le bras à la dame. Soudain, ils s’arrêtent. L’homme fouille dans sa poche et en sort une clé. En ouvrant la porte, il dit : « Tu vas voir rien n’a changé depuis ton départ. ».
Myriam
Rendez-vous manqué.
Délaissant son bureau et le bloc de feuilles angoissantes, il se dirige vers la porte-fenêtre. Son immeuble est situé face au pont de la Méditerrannée, c’est un immeuble des années 50 construit après la guerre suite aux bombardements américains qui détruisirent toute l’avenue Berthelot-les pilotes US l’ avaient prise pour la voie ferrée. Il habite cet immeuble « moderne » qui jure un peu parmi les immeubles XIX des quais. De son balcon au septième étage, il embrasse toute l’enfilade du pont. En cet après-midi assez chaud de juin, des promeneurs flânent sur les quais et les bas ports du Rhône, des enfants jouent même dans les poches d’eau laissées par le grand fleuve pas encore canalisé. Des passants plus affairés et chargés de bagages se dirigent vers la gare de Perrache.
Une femme en noir débouche de la rue Raulin et s’approche du pont mais ne traverse pas. Elle tient par la main un petit garçon. Droite dans ses habits de deuil, elle semble attendre quelqu’un. L’enfant habillé d’un costume marin, se met à gratter le sol avec sa chaussure, la dame peut-être sa grand-mère se penche pour lui dire un mot, il s’arrête. Le soleil se fait de plus en plus chaud, l’ombre réduite des deux silhouettes tremble sur la chaussée. Quinze minutes puis vingt minutes passent, toujours rien. La femme fait quelques pas sur le pont puis se ravise et revient à son point de départ. Elle se met à faire les cent pas, le garçon a ramassé des cailloux et les jette par dessus le parapet.
Depuis son perchoir, l’écrivain domine le pont et voit ce qui se passe sur l’autre rive. Une personne semble arpenter le trottoir, une femme apparemment, mais il ne peut lui donner d’âge. Avec ses jumelles de théâtre, il verra mieux, effectivement dans sa visée, une femme à peine plus jeune que la dame en noir jette des regards inquiets en direction du pont, elle semble se parler à elle-même. Y aurait-il un lien entre ces deux personnes ?
Soudain, lui revient en mémoire une anecdote souvent racontée aux repas de famille avec de grands rires, Sa grand-mère et sa grand-tante manquaient souvent leurs rendez-vous. Une fois, elles s’étaient attendues tout un après-midi de part et d’autre d’un pont. Mais l’enfant ? il portait un costume marin, comme lui sur les photos de son enfance. Il reporta son regard sur le pont mais plus aucune silhouette n’attendait ni d’un bord ni de l’autre du pont de la Méditerranée devenu depuis longtemps pont Gallieni.